Le président du Conseil de la Concurrence a beaucoup de défis à relever. Identifier les obstacles et les difficultés, définir les priorités, adopter une démarche efficace, gagner la confiance, convaincre… C'est là une phase primordiale pour contribuer à l'émergence d'écosystèmes et vaincre la concurrence déloyale dans ses dimensions structurelles. Pour cela, Driss Guerraoui n'a pas froid aux yeux. Ses connaissances et son expérience pratique très riche, ainsi que son équipe multidisciplinaire, constituent sa vraie force. Challenge : Quel premier bilan du Conseil de la Concurrence, après sa renaissance en 2018 faites-vous ? Driss Guerraoui : Depuis sa réactivation, par Sa Majesté le Roi Mohammed VI le 17 novembre 2018, le Conseil a immédiatement entamé un processus destiné à rendre effective son opérationnalisation à travers l'ouverture d'une multitude de chantiers pour lui permettre d'exercer pleinement ses missions. A ce niveau, le Conseil a procédé à l'examen des dossiers en instance, tout en traitant, dans les délais légaux, les nouvelles saisines et demandes d'avis qui lui sont adressées. Concernant les dossiers qui étaient en instance au Conseil, le stock hérité de l'équipe précédente a été de 105 saisines, dont 50 dossiers de concentration, 51 affaires contentieuses et quatre demandes d'avis. Plus de 80% des dossiers en instance ont été instruits et 11 dossiers sont en cours d'examen. Sur un total de 51 saisines en cours d'examen, l'essentiel concerne les marchés publics (16 dossiers), la gestion des services délégués, la concurrence dans le marché de l'énergie, des industries alimentaires, du bâtiment et travaux publics, du transport, des assurances, de la pêche maritime, des télécommunications, des médicaments, et du commerce électronique. Les demandes d'avis concernent la presse et l'édition, les modalités de fixation des prix de vente des dispositifs médicaux et les honoraires des notaires. Parallèlement, le Conseil de la Concurrence a traité les nouvelles saisines et demandes d'avis dont il a été destinataire, ainsi que les projets de concentration économique. Ainsi pour les demandes d'avis, le Conseil en a émis deux concernant la demande de réglementation des prix des carburants liquides d'une part, et la demande relative à la proposition de loi concernant l'amendement du code de commerce d'autre part. A cet égard, le Conseil a examiné le cas particulier d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des hydrocarbures liquides, et a notifié, en date du 22 Mai 2019 conformément à la procédure légale, les griefs aux parties concernées qui disposent d'un délai de deux mois pour consulter le dossier et présenter leurs observations. Dans le cadre de sa mission de surveillance des marchés, le Conseil a reçu 52 projets de concentration économique, dont 42 ont été autorisés, et les autres sont en cours de traitement en conformité avec la législation en vigueur. L'examen de l'ensemble des dossiers soumis au conseil s'appuie sur les Hautes orientations Royales, ainsi que sur un large processus d'écoute des différentes parties prenantes dans les secteurs concernés et ce, dans le respect strict des délais légaux fixés par la loi, et des procédures garantissant la neutralité et l'indépendance vis-à-vis de la sphère politique et du monde des affaires. Enfin, le Conseil a élaboré son manuel des procédures qui encadrent ses actions en matière d'instruction des demandes objets soit de saisines contentieuses, soit de demandes d'avis. Quant à l'analyse de l'état de la concurrence au niveau des marchés, et en vue de mettre la lumière sur l'état de la concurrence dans un certain nombre de secteurs prioritaires du point de vue économique et social, le Conseil a entamé 4 études sectorielles, qu'il a confiées à sa Direction des Etudes, appuyée par des experts externes et non à des bureaux d'études . Ces études portent sur l'analyse de la concurrence dans les marchés des médicaments, du commerce électronique, des cliniques privées et des marchés de gros. La politique choisie par le Conseil en cette matière est de s'appuyer prioritairement sur les capacités propres du Conseil, mais aussi sur les compétences nationales puisées dans les Universités et Centres de Recherches de notre pays. A ce sujet, nous avons d'ores et déjà commencé à constituer une base de données des spécialistes nationaux en droit et économie de la concurrence, y compris ceux parmi les Marocains du Monde. Nous comptons, également utiliser à bon escient le partenariat international bilatéral et multilatéral qui nous lie avec des Autorités Nationales de la Concurrences de pays amis et avec les Institutions et organisations internationales comme l'OCDE, la CNUCED, l'OMC, l'Union africaine, l'Union européenne et la Banque mondiale. Parallèlement, le Conseil s'est doté d'un statut particulier de son personnel, d'un règlement intérieur et d'une Charte d'éthique qui fixe, pour les membres du Conseil, les règles et les obligations éthiques et déontologiques qu'ils s'engagent à observer dans l'exercice de leurs fonctions. Quelles sont les difficultés ou obstacles rencontrés actuellement par le Conseil de la Concurrence dans sa mission ? Les principales difficultés auxquelles nous avons fait face après la réactivation du Conseil étaient essentiellement liées au renforcement des capacités institutionnelles, mais désormais nous sommes en mesure d'affirmer que ces obstacles sont en train d'être dépassés, avec le recrutement de nouveaux rapporteurs et cadres. Quant aux difficultés afférentes aux flux grandissant des saisines soumises au Conseil, tous les efforts sont déployés afin de les traiter dans la célérité, dans les délais légaux et en toute indépendance. Quelles sont les priorités du plan d'action du Conseil de la Concurrence, au cours des prochaines années ? Au vu des missions que lui confère la loi fondamentale du pays et des défis à relever en matière de promotion des bonnes pratiques de la concurrence libre et loyale, le Conseil entend ouvrir d'autres chantiers prioritaires d'importance. Il s'agit de doter le Conseil d'un baromètre national de la concurrence, de réaliser chaque année un sondage d'opinion pour évaluer la perception qu'ont les acteurs et les institutions qui saisissent le Conseil de la situation de la concurrence dans les secteurs où ils opèrent, créer un Observatoire de la veille économique, concurrentielle et juridique pour permettre au Conseil de disposer d'un système intégré d'information et enfin, développer une stratégie de communication à la fois de masse et de proximité en direction des citoyens, des entreprises et des territoires en vue de sensibiliser toutes les composantes de la collectivité nationale sur les questions de la concurrence. Tous ces chantiers font partie du plan d'action du Conseil de la Concurrence pour la période 2018-2023, dont les axes essentiels sont la veille économique, concurrentielle et juridique permanente que le Conseil mettra en place, le renforcement institutionnel et la gouvernance du Conseil afin de le doter de tous les outils nécessaires à son bon fonctionnement , le développement des relations de partenariat avec les Autorités Nationales de la concurrence de par le monde, ainsi qu'avec les organisations régionales et internationales spécialisées dans le droit et les politiques de la concurrence. Face à la « révolution numérique» en cours, quels sont les nouveaux défis, en matière de concurrence ? La révolution digitale a, en effet, impulsé de nouvelles pratiques anticoncurrentielles déloyales. Elle a permis aux grands groupes transnationaux de se doter de capacités extraordinaires à disposer en temps réels d'informations technico-économiques, technico-financiers et de données personnelles sur les citoyens-consommateurs de par le monde. Cette nouvelle réalité s'opère dans le cadre d'une crise de la gouvernance multilatérale de la concurrence et du commerce international et celle des difficultés croissantes des Autorités Nationales de la Concurrence à maitriser les tenants et les aboutissants de ces nouvelles pratiques anticoncurrentielles. De plus, et c'est là un nouveau défi qui se pose à ces autorités, la révolution digitale se développe dans le cadre d'un système de l'économie mondiale qui voit le développement de nouvelles générations de concentrations économiques et d'existence de règles de droit devenues non conformes et inappropriées au regard des nouvelles données des marchés. C'est ce qui fait que la coopération internationale est aujourd'hui plus que jamais importante et c'est tout le sens de l'organisation par le Conseil de la Concurrence de la Rencontre Internationale de Rabat.