Rien que pour mener ses études, le Conseil fait face aux limites que lui impose son statut exclusivement consultatif. Son président n'a cessé de réclamer la révision de son statut. L'approche de l'échéance 2012 ouvrant les marchés, Benamour devrait changer son fusil d'épaule et se rapprocher des entreprises Sans pouvoir de contrainte, point d'influence sur les conditions du marché. Telle est, malheureusement, la limite à laquelle fait face le Conseil de la concurrence. Un jeune conseil qui, rien qu'en menant ses études sectorielles, a concrètement expérimenté ce handicap de taille. Que dire alors des arbitrages qu'il est censé mener ? En effet, la livraison des études commanditées auprès de bureaux spécialisés a pris du retard. Elles ne seront livrées qu'au terme du premier semestre 2011. «Les raisons de ce retard sont essentiellement dues au caractère des investigations qui sont nouvelles dans le paysage des études et qui nécessitent une approche novatrice pour l'analyse de l'état de la concurrence dans les secteurs étudiés», justifie le Conseil. Il y a également «la difficulté de disposer d'informations pointues, dans la mesure où ni les entreprises, ni les administrations ne sont tenues juridiquement d'y répondre», poursuit l'instance. Plus particulièrement, les cabinets d'étude ont déclaré faire face à des difficultés pour réaliser la mission qui porte sur la perception du concept de concurrence du marché par les opérateurs intéressés. Vers une réorientation ? Globalement, l'objectif de ces études est de définir pertinemment chaque marché, mesurer son degré de concentration, déceler les facteurs derrière les pratiques anticoncurrentielles, notamment les ententes, les abus de position dominante ou encore les dépendances économiques. Les questions qui se posent alors sont: «Y a-t-il des barrières à l'entrée et à la sortie et de quelle nature ? Quels sont les acteurs concernés ? Comment ces pratiques anticoncurrentielles se manifestent-elles ? Quel est leur impact sur le marché?» Autant de questions, dont les réponses n'auront aucun poids significatif, tant qu'elles n'engageront pas, de façon légale, les acteurs identifiés comme usant de pratiques anticoncurrentielles. Il faut dire que Benamour a assez martelé la nécessité de réformer le texte régissant le Conseil, sans pour autant qu'il n'ait été opéré de grand déclic en la matière. Maintenant qu'il a testé les limites de son action et qu'il a confirmé que la latence qui greffe généralement ce genre de procédures, même si les revendications sont légitimes, le président du Conseil ne devrait-il pas changer son fusil d'épaule ? Ne devrait-il pas réorienter ses actions et sa communication vers les entreprises elles-mêmes ? Au fur et à mesure que l'échéance 2012 approche, annonçant l'ouverture totale au marché européen, les arguments économiques objectifs ne manquent pas pour que les entreprises saisissent l'importance d'une autorité de régulation du marché, forte, indépendante et surtout, active. Il s'agira donc pour le Conseil de jouer son coup de marketing auprès des opérateurs du marché en vue de les sensibiliser à son rôle, à la force de frappe qu'il pourrait avoir s'il était doté de davantage de moyens et ainsi, obtenir leur adhésion à l'obligation de doter les décisions de cet organe de la force coercitive.N'est-ce pas par que le lobbying économique sert le politique aussi ? 13 avis et saisines en 2010 Durant son exercice 2010, le Conseil de la concurrence a instruit 13 avis et saisines, dont 9 ont été traités et 4 en cours de traitement. Leurs objets ont été très diversifiés et portent sur un éventail de secteurs. Parmi ces dossiers, on peut citer : la concentration de Kraft et Cadbury, le transit de céréales au port de Casablanca, la protection de la production nationale de PVC, la concurrence dans le secteur des laboratoires d'études et d'essais, dans celui de la formation professionnelle privée, du régime douanier appliqué aux véhicules asiatiques ou encore la concurrence déloyale des banques dans le secteur des assurances. Interview : Abdelali Benamour, Président du Conseil de la concurrence. Les Echos Quotidien : Qu'est-ce qui empêche la réforme du statut, de conseil vers une autorité d'être initiée ? Abdelali Benamour : C'est difficile à dire, mais peut être que certains craignent que le Conseil devienne une autorité, et qu'il fasse son travail, à savoir, faire en sorte que la concurrence se joue loyalement. Peut être qu'il y a des secteurs où ce n'est pas le cas, et qui craignent donc que le Conseil ait un pouvoir de contrainte. Il faut savoir que de par le monde, les autorités de la concurrence sont indépendantes aussi bien du pouvoir politique que du pouvoir économique. Des autorités qui décident par elles-mêmes, qui enquêtent par elles-mêmes et qui peuvent s'autosaisir des dossiers. Elles vont «fouiner» pour dénicher les situations anticoncurrentielles, et décident de se pencher dessus. Est-ce que le fait que vous étudiez des secteurs en particulier veut dire qu'ils sont les plus anticoncurrentiels ? Nullement. Comment voulez-vous qu'on se prononce si on ne les a pas étudiés. L'économie marocaine n'est toujours pas connue, et c'est pour ça que l'on est en train d'étudier ces secteurs, et nous en étudierons d'autres. De toute façon, c'est ce que nous pouvons faire pour l'instant puisque nous n'avons pas le droit de nous saisir des sujets que nous identifions. Et si jamais nous recevons une saisine sur l'un des secteurs, nous disposerions d'un dossier. Pourquoi plusieurs demandes de saisines ont été déclarées non recevables ? Notre statut stipule que les demandes de saisine peuvent émaner du gouvernement, du Parlement et des associations professionnelles. Si une entreprise nous saisit, sa demande est irrecevable. Il faut qu'elle passe par son association professionnelle pour saisir le Conseil. Or le plus souvent, la demande de saisine vise l'un des concurrents, également membre de la même association. C'est complètement contradictoire, et c'est aussi pour ça que nous demandons le changement du texte qui nous régit. Actuellement, nous n'avons pas la possibilité d'être actifs, nous sommes obligés de rester passifs. En fait, nous avons tout sauf le texte, la réglementation !