Après la mort du journaliste Mohamed Tamalt en détention le 11 décembre, Reporters sans frontières a dévoilé un rapport accablant sur la liberté de la presse en Algérie. Intitulé « Algérie : la main invisible du pouvoir sur les médias », le dernier rapport publié par Reporters sans frontières s'inquiète de « l'asphyxie » progressive dans laquelle sont contraints d'évoluer les médias et les journalistes algériens depuis la réélection du président Abdelaziz Bouteflika à un quatrième mandat en avril 2014. Très documenté, ce rapport intervient après la mort en détention, le 11 décembre 2016, du journaliste blogueur algéro-britannique Mohamed Tamalt dans un hôpital algérois. Critique du pouvoir, cet homme de 42 ans avait été condamné en juillet à deux ans de prison pour « offense au président de la République », en raison de contenus publiés sur sa page Facebook. Hospitalisé fin août, il est mort « après plus de trois mois de grève de la faim suivie d'un coma de trois mois », selon son avocat Me Amine Sidhoum. Mohamed Tamalt animait une page Facebook suivie par près de 10 000 personnes et sur laquelle il publiait des contenus mettant en cause des responsables du pays ou des membres de leur famille. Le décès en détention de Mohamed Tamalt, une première en Algérie, a suscité de nombreuses protestations des organisations de défense des droits de l'Homme. Pour Yasmine Kacha, directrice du bureau Afrique du Nord de RSF, la situation des médias algériens se dégrade et la mort de Mohamed Tamalt est venue noircir davantage le sombre tableau de la liberté de la presse dans ce pays du Maghreb. « Il n'y a aucun doute sur la volonté du pouvoir algérien de réduire au silence tous les médias qui ne se rangent pas de son côté ou qui osent critiquer Bouteflika ou évoquer sa maladie, a-t-elle déclaré à France 24. Aujourd'hui, on est arrivé à un stade où l'on se demande même s'il peut y avoir encore des journaux indépendants en Algérie et s'ils peuvent critiquer les autorités, sans qu'ils ne soient poursuivis en justice ou obligés de faire avec elles des compromis. » Chute de 50 % des recettes publicitaires Dans son rapport, RSF a dressé une liste de pressions exercées par le pouvoir algérien sur les médias indépendants en vue de les étouffer et de les pousser à mettre la clé sous le paillasson. Yasmine Kacha a retenu notamment l'asphyxie financière dirigée contre certains titres de presse comme El Watan ou Al Khabar, qui étaient opposés au quatrième mandat de Bouteflika. « Depuis sa nomination au poste de ministre de la Communication en 2014, Hamid Grine n'a cessé d'appeler les annonceurs locaux et étrangers pour leur demander de ne pas acheter d'espaces publicitaires dans ces journaux, au risque de voir leurs contrats avec les entreprises algériennes annulés. Résultat : les recettes publicitaires de ces deux journaux ont chuté de 50 % depuis 2014 ». L'audiovisuel est également verrouillé. Il subit le même sort. De nombreuses chaînes de télévision continuent d'émettre de l'étranger, faute d'agrément. Seules cinq d'entre elles (Dzair TV appartenant au puissant patron des patrons algériens Ali Haddad, Echourouk TV, Hoggar TV Ennahar TV et El Djazäir TV proches du régime) ont obtenu l'autorisation de travailler en Algérie et d'ouvrir des bureaux. Avec une condition claire : défendre la politique du président Bouteflika et se ranger derrière le régime. Par ailleurs, s'interroger légitimement sur la santé du président Bouteflika ou dénoncer la corruption qui gangrène toutes les sphères du pouvoir est devenu un exercice difficile pour les journalistes algériens, note également RSF. « Il faut libérer Hassan Bouras » L'organisation dénonce la « criminalisation » du métier de journaliste grâce notamment au recours quasi systématique au code pénal, devenu le cauchemar des professionnels de la presse. Les peines encourues vont de deux mois à cinq ans de prison et de 1 000 Da à 500 000 Da (de 10 à 4 000 euros). « Pourtant, estime encore Yasmine Kacha, l'article 50 de la nouvelle Constitution algérienne dispose que la liberté de la presse est garantie et qu'elle n'est restreinte à aucune forme de censure préalable. Mais dans la réalité, c'est le contraire qui se passe. » À l'approche des élections législatives prévues en avril 2017, et alors que le prix du baril du pétrole est en chute libre, RSF craint que la situation des médias algériens ne s'aggrave. L'organisation réclame la révision du code pénal en supprimant les peines d'emprisonnement pour les délits de presse. Elle demande aussi l'ouverture d'une enquête indépendante sur les circonstances de la mort de Mohamed Talmat et la libération d'un autre journaliste, Hassan Bouras, emprisonné depuis octobre 2016 dans la ville d'El-Bayadh (nord-ouest de l'Algérie). Membre de la Ligue algérienne des droits de l'Homme, il a été condamné le 28 novembre à une année de prison ferme pour « complicité d'outrage à un auxiliaire de justice, à des agents de la force publique et à un corps constitué ». Hassan Bouras sera être jugé en appel le 8 janvier prochain. Son avocat, Me Noureddine Ahmine, craint qu'il ne subisse le même sort que celui réservé à Mohamed Talmat. « Il n'est pas mort. Il a été assassiné. Les prisons algériennes sont devenues dangereuses pour les journalistes. J'ai peur pour mon client Hassan Bouras. Il faut tirer la sonnette d'alarme et faire pression pour que les autorités algériennes le libèrent », a-t-il déclaré à France 24. Une pétition été lancée par RSF sur son site Internet. Au-delà du cas de Hassan Bouras, l'ONG demande l'arrêt du recours au code pénal, à la détention arbitraire et aux procédures administratives abusives.