Rabat a soigneusement choisi le moment pour divulguer calmement l'information. Le 19 août 2023, une source autorisée a annoncé que le Maroc n'a jamais formellement fait acte de candidature pour rejoindre les BRICS[1]. La dépêche de l'agence MAP a apporté un démenti cinglant aux propos de la ministre sud-africaine des Relations internationales et de la Coopération, Naledi Pandor, qui, lors d'une conférence de presse, avait cité le Maroc parmi 23 pays, candidats selon elle, à l'adhésion aux BRICS. La source diplomatique citée par MAP a indiqué, au sujet des relations futures du Maroc avec ce groupe, qu'elles «s'inscriront dans le cadre général et les orientations stratégiques de la politique étrangère du Royaume, tels que définis par Sa Majesté le Roi Mohammed VI.» En précisant que le Maroc a écarté, dès le départ, toute suite favorable à l'invitation sud-africaine, la source a noté «qu'encore une fois, la diplomatie sud-africaine s'est arrogée le droit de parler du Maroc et de sa relation avec les BRICS, sans consultation préalable.» La diplomatie marocaine a souligné par la même occasion qu'«il n'a jamais été question de répondre positivement à l'invitation à la réunion « BRICS/Afrique » prévue en Afrique du Sud en marge du 15ème sommet des BRICS [qui s'est tenu du 22 au 24 août 2023 à Johannesburg], ou de participer à cette réunion à quelque niveau que ce soit». Cette réunion a été une initiative du gouvernement sud-africain, qui a envoyé des invitations dans ce sens, ainsi que l'a confirmé un communiqué indien. Le Maroc a soupçonné clairement Pretoria de vouloir «détourner cet événement de sa nature et de son objectif, pour servir un agenda inavoué». Le Maroc ne s'est pas trompé, comme la suite des événements l'a montré, sur les buts cachés de l'initiative sud-africaine. Le gouvernement sud-africain a invité le chef des milices du polisario à cette réunion, dans le but probable d'obliger la délégation marocaine à se retirer sous l'œil des caméras. Plus grave encore, c'est Pretoria qui a été à l'origine de l'introduction de la question du Sahara dans l'ordre du jour des BRICS. En effet, lors de la neuvième réunion des vice-ministres des Affaires étrangères et des envoyés spéciaux des BRICS pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord (MENA) tenue au Cap le 26 avril 2023, la vice-ministre sud-africaine des Relations internationales et de la Coopération, Candith Mashego-Dlamini, a déclaré «nous devons soutenir la nécessité de parvenir à une solution politique durable et mutuellement acceptable à la question du Sahara occidental, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies. En conséquence, nous devons exprimer notre soutien à la pleine mise en œuvre du mandat de la Mission des Nations Unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO), qui permettra en fin de compte de résoudre l'un des problèmes de décolonisation restants sur le continent africain». Dans la Déclaration commune qui a été rendue publique à l'issue de la réunion, un paragraphe est pour la première fois dans l'histoire des BRICS consacré au Sahara marocain : 13. Ils ont souligné la nécessité de parvenir à une solution politique durable et mutuellement acceptable à la question du Sahara occidental, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ils ont exprimé leur plein soutien à la mise en œuvre de la Mission des Nations Unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Ils ont par ailleurs exprimé leur plein soutien à l'Envoyé personnel du SGNU pour le Sahara occidental et à ses efforts visant à faire avancer le processus politique qui aboutira à la reprise du dialogue entre les parties concernées. Deux mois plus tard, après une réunion au Cap, le 1er juin 2023, les ministres des Affaires étrangères et des Relations internationales des BRICS, ont exprimé dans une Déclaration conjointe «leur vive préoccupation face à la poursuite des conflits dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) et ont approuvé la déclaration commune des vice-ministres des Affaires étrangères et des envoyés spéciaux des BRICS lors de leur réunion du 26 avril 2023». À leur tour, les chefs d'Etat, à l'issue de la XVème réunion au sommet des BRICS ont adopté la «Déclaration de Johannesburg II» dans laquelle le dernier paragraphe du point 16 énonce: Nous soulignons la nécessité de parvenir à une solution politique durable et mutuellement acceptable à la question du Sahara occidental, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies et dans l'accomplissement du mandat de la Mission des Nations Unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO). L'objectif du gouvernement sud-africain est clair : inscrire durablement la question du Sahara dans l'agenda des BRICS et bâtir progressivement sur des acquis en commençant par le rappel sournois du mandat de la MINURSO et sa raison d'être, à savoir l'organisation d'un referendum. À Addis-Abeba en janvier 2017, neuf pays avaient pris la parole pour s'opposer au retour du Maroc à l'Union africaine. Ils constituent ce qu'on peut considérer comme le noyau dur des partisans inconditionnels du polisario. Parmi eux, l'Afrique du Sud est, avec l'Algérie, la plus ouvertement hostile au Maroc. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa, dans un discours sur la diplomatie de son pays, le 20 août 2023, a déclaré « nous continuerons à soutenir les luttes des peuples de Palestine et du Sahara occidental ». En 2022, recevant Brahim Ghali à Pretoria, Ramaphosa lui avait assuré que le gouvernement sud-africain soutenait «sans état d'âme» la « rasd». Rabat avait alors dénoncé les «gesticulations et agitations» de l'Afrique du Sud, qui reflètent son « incapacité à agir sur le dossier » et démontrent son manque de crédibilité. L'Afrique du sud affirme défendre des principes et ne nourrir aucune hostilité à l'égard du Maroc. Ce n'est pas l'avis de Rabat, qui estime que Pretoria a adopté une attitude inamicale et anachronique qui ne va pas dans le sens des efforts de la communauté internationale et ne favorise pas la recherche d'une solution. Peut-on avoir des relations saines avec des gouvernements qui ne respectent pas les usages et les règles de bonne conduite dans leurs relations internationales ? [1] A l'origine, le groupe a été créé en 2009 sous le nom de BRIC, acronyme formé par les initiales des quatre pays fondateurs: Brésil, Russie, Inde, Chine. BRICS lui a succédé en 2011 avec l'adhésion de l'Afrique du Sud.