Au Sénégal, la crise politique prend des allures de fin de règne du régime du président Macky Sall, après onze ans de pouvoir qui pourrait bien mal se terminer. Plusieurs éléments expliquent cette situation de tension qui a viré depuis hier jeudi 16 mars à des affrontements à Dakar, la capitale, ainsi que dans d'autres capitales régionales comme Ziguinchor, en Casamance, Saint-Louis, les villes saintes de Mbacké et Touba. Première cause de cette tension politique qui dure depuis maintenant un an, la volonté (non exprimée encore) du président SALL de briguer un troisième mandat auquel il n'a absolument pas le droit selon la Constitution de 2001 et celle issue du referendum de 2016 que Macky Sall avait lui-même soumis au peuple sénégalais qui dispose que «nul ne peut faire plus de deux mandats successifs». Or, le président Sall finit en février son deuxième et dernier mandat, puisqu'il est arrivé au pouvoir en 2012 en battant le président Abdoulaye Wade, avec d'abord un mandat de 7 ans (2O12-2019) et le second qui s'achève dans onze mois (2019-2024). Si le président maintient depuis trois ans sa position de «ni oui ni non», c'est un secret de polichinelle puisque tous les cadres s de son partis qui, naïvement, l'avaient cru et défendu la thèse de l'impossibilité d'un troisième mandat ont été chassé de leurs postes (gouvernement ou directions de sociétés) et que depuis maintenant plusieurs mois, son parti, son gouvernement, et certains de ses alliés organisent des meetings pour déclarer sa candidature, comme son premier ministre, Amadou Ba, ou son ministre de la Justice, un des rédacteurs de la Constitution de 2016, Ismaïla Madior Fall. Seulement il y'a un hic : le président et son camp savent-ils qu'ils sont devenus minoritaires dans l'opinion et qu'ils seraient battus si les élections prochaines se déroulaient dans la transparence et surtout de manière INCLUSIVE ? Or, c'est là le hic: le président Macky Sall a le chic de se choisir lui-même ses adversaires en liquidant JUDICIAIREMENT ses principaux challengers comme ce fut le cas avec Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, et de Karim Wade, le fils de l'ancien président, accusé de détournement de fonds publics, jugés par une cour de juridiction d'exception condamnée par tous, y compris par la Cedeao. Les deux ont été condamnés, emprisonnés, et de ce fait devenus non éligibles ni électeurs à moins d'une amnistie du président lui-même. Chose qu'il fait miroiter aux deux opposants. C'est le tour maintenant du troisième larron, le jeune (47 ans) inspecteur d'impôts (radié par Macky Sall, et devenu chef de l'opposition sénégalaise). Plus grave pour le président Macky Sall, il a perdu toutes les élections depuis deux ans, les locales, avec la perte des principales villes du pays, dont la capitale, Dakar, et aux dernières législatives, pour la première fois dans l'histoire politique du pays, le parti au gouvernement n'a pas la majorité au parlement, avec une parité parfaite. Macky Sall ne peut avoir de majorité qu'en « achetant » la voix de l'ancien maire de Dakar Pape Diop, et en faisant voter avec l'aide des députés du PDS de Wade, la déchéance du mandat, de son ancienne directrice de campagne, Mme Aminata Touré, dite Mimie, qui avait claqué la porte du parti présidentiel après les législatives, en réaction à la «trahison» du président Sall qui lui avait promis, dit-elle, le poste de Président de l'assemblée nationale. Or, celui-ci a sorti de sa poche un de ses amis, un illustre inconnu du lanterneau politique, pharmacien dans la ville sucrière de Richard Tall, près de Saint Louis, pour en faire président de l'assemblée. Parce qu'il avait peur que son ancienne, ministre de la justice, ancienne première ministre, forte personnalité et « grande gueule » ne veuille candidater dans le cas où il renoncerait à se représenter. C'est alors qu'ils ont ourdi ce que tout le monde (sauf lui bien sûr) qualifie de complot; faire accuser Ousmane Sonko, son principal opposant, de viol, par une gamine sortie de nulle part, qui travaillait dans un salon de massage, où Sonko était client pour des massages du fait d'un mal de dos chronique. La première crise a eu lieu en mars 2021 quand on a arrêté Sonko sur la route du palais de justice, où il se rendait pour l'audition et confrontation avec la jeune fille. Résultat: quatre jours d'émeutes et 14 morts tués par balles, et depuis aucune enquête. Rebelote ce jeudi matin, quand Sonko se rendait au tribunal, cette fois ci pour un procès en diffamation intenté contre lui par Monsieur Mame Mbaye Niang, ministre du tourisme et directeur de cabinet du président Macky Sall. Comme il y a un mois, Ousmane Sonko a été carrément enlevé par les forces spéciales de la gendarmerie, pour être amené de force jusqu'au tribunal pour le séparer de milliers de ses partisans qui voulaient l'y accompagner. Emeutes dans Dakar et dans presque toutes les villes du pays, saccages de commerces dont les enseignes françaises d'Auchan, des bus de transport public. Plus rave, Sonko, comme il y'a un mois, a vu les forces spéciales casser les vitres blindées de son véhicule pour l'extraire de force avec un de ses avocats, après avoir été gazés par un produit toxique dont on ignore encore la nature. L'opposant et son avocat ont par la suite acheminés dans une clinique dakaroise. Du fait de ces violences exercées sur lui et un de ses avocats (il a un pool d'avocats de 16, dont un du barreau marocain), le procès est reporté (pour la troisième fois) au 30 Mars prochain. Bien malin aujourd'hui celui qui peut dire comment va se terminer cette crise. Mais tout porte à croire que le pays va connaitre des semaines et des mois de tension. Ceux qu'on appelle ici les «fédayins» ou «Sonko's boys» ne sont pas prêts de quitter les rues des villes du pays. *Journaliste et chroniqueur politique sénégalais, collaborateur de Barlamane.com