La notion de complot est devenue intimement liée au discours des officiels algériens lorsqu'ils évoquent le Maroc, au point que c'en est devenue une pratique systématique de la désinformation et la diffusion stratégique de mensonges. Une Algérie ébranlée intérieurement brandit le fantôme d'une imaginaire invasion israélienne au Maghreb occidental, faite de connivence, presque de concert avec Rabat, qui ne se gêne pas pour déplorer par des critiques acerbes des choix diplomatiques souverains. Même nos sources internationales s'étonnent : «L'Algérie ? La direction de sa politique étrangère est de commenter massivement les complications du dehors pour faire diversion aux embarras du dedans. Ne retenons que cela» ; «L'Algérie navigue dans une passe semée d'écueils, où même les bons pilotes ne peuvent avancer que la sonde en main. Le pays n'en a que de mauvais.» Dans un diffus plaidoyer sous forme d'entretien en faveur «l'Algérie souveraine» accordé à Al-Quds al-Arabi, Ramtane Lamamra a déclaré, dimanche 28 novembre, que l'Algérie «est visé par l'entité sioniste», laquelle s'est liée à un «pays ami et frère». Des stipulations qui reflète l'esprit d'un régime flottante au gré des événements, «Tout le monde sait que l'Algérie voulait transformer la malveillance avec Rabat en hostilité, susciter des occasions de conflit, se dire, se croire même attaquée, et présenter le Maroc comme la poussant à bout par une série de provocations détournées. Mais là, la dérive complotiste de tout ce discours ne fait aucun doute», nous indique un analyse au fait des questions maghrébines. L'efflorescence de la grille de lecture complotiste dans la réthorique des officiels algérien reflète la défaillance du processus politique du pays. Au risque de participer à la circulation de nombreux préjugés nourris par un sauvage national-populisme. «Le retour en juillet de Ramtane Lamamra à la tête du ministère des affaires étrangères, déjà patron de la diplomatie algérienne entre 2013 et 2017 et ancien ambassadeur à Washington (1996-1999), était voulue par le régime algérien afin de reconquérir l'arène régionale. Mais la réalité est amère : son parcours à la tête des affaires étrangères de l'Algérie de 2013 à 2017 était chaotique, son rôle de médiateur dans plusieurs conflits africains sous les auspices de l'ONU et de l'UA était un échec total et lorsqu'il a été pressenti pour remplacer l'émissaire de l'ONU en Libye, Ghassan Salamé, démissionnaire, plusieurs capitales occidentales et arabes ont opposé un niet catégorique. Plutôt un homme de paille qu'un négociateur de haut parage », nous confient nos sources. Depuis l'annonce par le président Donald Trump de la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara (réconfortée depuis par l'administration Biden) Alger s'inquiète d'«opérations étrangères» visant à sa «déstabilisation», dénonçant «l'arrivée de l'entité sioniste» à ses frontières. «Même sur le Sahara, ils répètent la même chose depuis des décennies», dit notre interlocuteur. «L'organisation d'un référendum libre et équitable pour permettre» au peuple sahraoui «de déterminer son destin et de décider de son avenir politique», a tonné Ramtane Lamamra en septembre. «Le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination est inaliénable, non négociable et imprescriptible», a insisté le ministre algérien, assurant que sa nation, «pays pivot», ne cherchait qu'à œuvrer «pour la paix et la coopération» dans la région. Des paroles rabâchées, vides de toute substance. «Le régime algérien utilise le complotisme et un supposé soutien à la cause palestinienne et au Polisario comme moyen d'action. Pour peu qu'on lui laisse le temps de s'en servir, il va entraîner tous ces éléments encore mous et confus, les coaguler pour ainsi dire dans un assemblage primitif, pour les animer ensuite par le récit de quelque conjuration qui n'existait que dans son cerveau», souligne notre source. La semaine dernière, la visite inédite dans la capitale Rabat, du ministre israélien de la défense, Benny Gantz, qui a paraphé le document avec son homologue marocain, Abdellatif Loudyi, a déclenché l'ire du régime d'Alger : «Le Mossad à nos frontières», l'accord sécuritaire – officiellement nommé «mémorandum d'entente en matière de défense» – entre le Maroc «cible l'Algérie », «Israël sera chez elle au Maroc et aura l'Algérie à portée de missile, de drone et même d'incursion dans ses territoires», «L'Algérie est visée» etc. Des propos factices et un désir vague de se mêler des affaires marocaines par des gémissements nationalistes sans aucune portée. Tel est le récit stéréotypé que tous les dignitaires algériens se sont passé de main en main l'un à l'autre. Si la vérité a ses droits, la complotisme algérien renferme trop d'anachronismes, trop de mensonges, trop d'incohérences pour qu'il puisse être admis, sans réserves. Au moment où Alger a annoncé la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, un point particulier a retenu l'attention, c'était le moment où Ramtane Lamamra a déclaré que «le MAK reçoit le soutien et l'aide de parties étrangères, en tête desquelles le Maroc et l'entité sioniste [Israël]». Par la suite, certains «des suspects» arrêtés ont confessé appartenir à ce mouvement, selon des aveux filmés et diffusés par les télévisions algériennes. Sauf que des internautes avaient démontré que ces «aveux» étaient faux, fournis par des gens liés au corps diplomatique algérien En avril, une instruction signée par Abdelmadjid Tebboune a ordonné à plusieurs entreprises algériennes de rompre leurs contrats avec des sociétés étrangères, notamment marocaines, susceptibles de «porter atteinte» au pays et «à sa sécurité». «Cette déraison va s'augmentant de fictions pathétiques. Un pouvoir délégitimé qui a, depuis des décennies, toutes les forces du pays dans ses mains, administration, finances, armées, tribunaux, qui avait encore partout ses agents, ses officiers, ses juges, sans qu'aucun changement positif puisse être réalisé», pointe un spécialiste des relations maghrébines. «Saïd Chengriha a caricaturé la contestation populaire dans son pays en complot de l'étranger, dont la France serait l'inspiratrice. Les contrefeux est une philosophie algérienne, une prodigieuse échelle de corde par laquelle le régime descend pour fuir ses responsabilités», nous dit la même source. En août, l'opinion internationale était stupéfaite par une salve de déclarations complotistes algériennes : «Les dirigeants du Maroc portent la responsabilité des crises successives qui nous ont fait entrer dans un tunnel sans issue», «Il a été prouvé que le royaume n'a pas cessé un jour ses œuvres inamicales, basses et hostiles contre l'Algérie depuis l'indépendance», «Les actes hostiles incessants perpétrés par le Maroc contre l'Algérie ont nécessité la révision des relations entre les deux pays et l'intensification des contrôles sécuritaires aux frontières ouest», «Le Maroc est devenu la base arrière pour la planification d'une série d'agressions dangereuses contre l'Algérie dont les dernières sont les fausses accusations lancées par le ministre des Affaires étrangères israélien contre l'Algérie en présence de son homologue marocain, qui est en fait l'instigateur de ces déclarations», a souligné le ministre algérien des Affaires étrangères lors de la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc. Puis en septembre : Rabat n'avait «jamais cessé de mener des actions hostiles à l'encontre de l'Algérie». «Les services de sécurité et la propagande marocains mènent une guerre ignoble contre l'Algérie, son peuple et ses dirigeants», toujours selon Ramtane Lamamra. En septembre, l'Algérie a décidé la fermeture «immédiate» de son espace aérien à tous les avions civils et militaires marocains ainsi qu'aux appareils immatriculés au Maroc, «Le Haut Conseil de sécurité (HCS) a décidé de la fermeture immédiate de l'espace aérien à tous les avions civils et militaires ainsi qu'à ceux immatriculés au Maroc», selon un communiqué officiel. Cette décision a été prise «compte tenu de la poursuite des provocations et des pratiques hostiles de la part du Maroc», a précisé le communiqué, sans explication. «L'Algérie n'a évidemment rien de réel, rien de juste à opposer aux changements qui l'entourent. Pour elle, tout facteur qu'elle ne maîtrise pas est attentatoire à ses droits, à sa souveraineté et à son indépendance. Elle s'est mise sur une base fausse en adoptant la simplicité ou la lâcheté de se plaindre, parce qu'elle oublie que cet isolement diplomatique qu'elle vit est le résultat d'une politique coupable et tortueuse», nous confie un politologue à Rabat avant d'ajouter : «Quel tort était donc réellement fait aux intérêts algériens avec le rapprochement Maroc-Israël ? La diplomatie du régime d'Alger est moribonde, elle sent ce vent de changement qui déplace insensiblement le centre de gravité de tout le système régional. Dans le cercle étroit où il est placé, il n'a d'autre choix que d'exhiber un langage qui a quelque chose de ce ton impérieux, de cette prétention d'exiger des comptes, tantôt à la France, tantôt au Maroc».