Le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra a accordé, dimanche 28 novembre, des déclarations au quotidien londonien Al-Quds al-Arabi, une sortie portant la réplique sur les dernières évolutions politiques. Le retour du septuagénaire aux commandes a exacerbé des sensibilités conspirationnistes, tendance ancienne au sein du régime algérien. La diplomatie algérienne, veut renaître de ses cendres, a abandonné le plan logico-rationnel au profit de thèses sans fondement. La faiblesse de la position internationale de l'Algérie, qui espère retrouver un peu du lustre de sa diplomatie, pousse le régime d'Alger à muscler un discours complotiste. Dans un entretien accordé à Al-Quds al-Arabi, le 28 novembre, Ramtane Lamamra a déclaré qu'«une série de complots contre l'Algérie pour la détourner de son rôle historique et créer des troubles de l'extérieur ou de l'intérieur [du pays] ne s'est pas arrêtée». Nous sommes, a-t-il dit, «en état de confrontation avec l'entité sioniste», devenue «à nos frontières» et «qui signe des accords militaires, sécuritaires et de renseignement avec un voisin, un frère et un ami [le Maroc, NDLR].» Au lendemain de la signature, mercredi 24 novembre à Rabat, d'un accord sécuritaire – officiellement nommé «mémorandum d'entente en matière de défense» – entre le Maroc et Israël aux grands enjeux géopolitiques régionales, l'Algérie a déclaré que la visite du ministre israélien de la défense, Benny Gantz, qui a paraphé le document avec son homologue marocain, Abdellatif Loudyi, «porte en germe la déstabilisation du pays». Ce qui étonne, les grilles de compréhension que les explications de Ramtane Lamamra associent l'Algérie et ses drames (complots, plans, troubles, etc.) à des ennemis fantasmés dont les contours s'avèrent suffisamment flexibles et flous pour donner carrière à l'imagination la plus débridée. Une Algérie qui lutte contre les manigances supposées des conspirateurs, et pour l'existence d'un ordre juste et moral – celui du vrai monde des vrais principes. L'entretien de Ramtane Lamamra déroule une lecture, puis d'une mise en récit totalisante et sans recul de «faits» collectés çà et là – dans l'actualité immédiate comme dans un passé plus ou moins lointain ; et ce, dans l'intention de mettre en lumière le passé et le présent, comme de prédire le futur (sûrement glorieux pour la diplomatie algérienne). Opérant tous azimuts en vue de engendrer un ensemble explicatif cohérent et crédible et sécurisant il s'attache à recueillir et à combiner des événements épars élevés au statut de vérités antialgériennes. «Néanmoins, nous cherchons à réunir les Arabes lors de la prochaine conférence au sommet pour parvenir à une position commune en faveur des droits du peuple palestinien et de la réadhésion à l'Initiative de paix arabe de 2002, sans interférer dans les affaires intérieures des pays qui ont normalisé avec Israël», a-t-il affirmé. En visite à Rabat, le 13 août, le ministre israélien des affaires étrangères, Yaïr Lapid, s'est dit inquiet, en présence de son homologue marocain, Nasser Bourita, «du rôle joué par l'Algérie dans la région, de son rapprochement avec l'Iran et de la campagne qu'elle a menée contre l'admission d'Israël en tant que membre observateur de l'Union africaine». Ramtane Lamamra, dans une entreprise de dénonciation qui s'exerce au détriment d'une compréhension plus profonde des réalités, des tendances et des fondements des politiques contemporaines, raconte qu'en «1975, le président français Valéry Giscard d'Estaing et le secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger voulaient punir Houari Boumediene [l'ex-président algérien (1965-1978)], surtout après sa nationalisation de la manne pétrolière», narre Lamamra. «À l'époque, ils ont essayé de changer le système algérien en créant des mouvements séparatistes, mais cette tentative n'a pas abouti, c'est ainsi que le dossier du Sahara occidental a été ouvert, avec la conviction que l'Algérie, fondée sur ses principes, n'abandonnera pas son soutien au droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Ils voulaient que le Sahara soit un bourbier dans lequel l'Algérie tombe et ne puisse en sortir. Le but est d'affaiblir l'Algérie d'une part et de renforcer les relations de la France et de l'Amérique avec le Maroc.» «L'idée d'utiliser la carte du Sahara occidental pour renforcer le Maroc et affaiblir l'Algérie est toujours présente (...) Il reste une forteresse inébranlable, qui est l'Algérie, qui soutient le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination (...) Il n'est pas dans l'intention de l'Algérie, ni maintenant ni à l'avenir, d'abandonner ce principe. Tenter d'imposer le fait accompli avec la reconnaissance de Donald Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara ne peut avoir lieu tant que l'Algérie est aux côtés du peuple sahraoui dans sa lutte pour le droit à l'autonomie», a tempêté Lamamra. Pour lui, «il y a ceux qui travaillent à saper le prochain sommet (...) les masques sont tombés (...) mais nous travaillerons à rassembler les Arabes autour de dénominateurs communs sur lesquels nous sommes d'accord.» «La relation du Maroc avec Israël, et son impact sur la question du Sahara et la relation d'Israël avec la cause palestinienne à la lumière de la normalisation arabe, façonneront le nouveau monde arabe», a-t-il dit. En août déjà, la rhétorique était d'une absurdité surprenante : «Les dirigeants du Maroc portent la responsabilité des crises successives qui nous ont fait entrer dans un tunnel sans issue», «Il a été prouvé que le royaume n'a pas cessé un jour ses œuvres inamicales, basses et hostiles contre l'Algérie depuis l'indépendance», avait déclaré Ramtane Lamamra «Il y a même ceux qui ont des lobbys étrangers en France et aux Etats-Unis consacrés à déformer l'image de l'Algérie et reluire celle du Maroc, mais nous nous moquons de cette propagande, car nous avons quelque chose à faire maintenant. La diplomatie algérienne doit aller dans ce sens. Nous sommes soucieux de notre indépendance», a-t-il mentionné. «Nous ne prenons pas de mesures réactives. La protection de notre sécurité nationale est une priorité. Rompre les relations avec le Maroc et arrêter le gazoduc GME entrent dans cette perception (...)» a-t-il déclamé. La diplomatie algérienne, obsédée par ce qui est lisse, réglé et calibré, prévisible, conforme à ses attentes politiques ? Bienvenue à l'univers de Ramtane Lamamra et au «monde de l'à peu près», qui comprime l'avenir et le réduit à des thèses éculées.