La décision de l'Algérie de multiplier les fronts diplomatiques a surpris. Elle renseigne, en particulier, sur la situation politique intérieure du pays. Les derniers succès diplomatiques du Maroc ont mis à mal la position algérienne et celle du Polisario. Mais, au centre de l'agitation du régime d'Abdelmadjid Tebboune, l'ancrage international d'Israël, qui s'est accentué depuis quelques mois, et les trépidations de petites choses, de petits intérêts et de petites passions autour de ce sujet. Alger, dernière journée de la conférence des chefs des missions diplomatiques et consulaires, le 10 novembre. Ramtane Lamamra, visiblement fatigué, «montrant toujours plus de velléités que de volonté», tatillonne, scrute les regards, peaufine ses déclarations, use des plus minutieuses précautions pour dérouter les curiosités indiscrètes, soigne ses délibérations publiques, et entretient une atmosphère de dissimulation. Quelques heures avant la conférence internationale organisée par la France le 12 novembre visant à soutenir le processus électoral en Libye, des informations à propos d'un candidat à la présidentielle qui accepterait de «normaliser» les relations avec Israël l'irritent. Au micro d'une radio, Ramtane Lamamra se montre amer : «Je préfère qu'à la tête de pays frères se trouvent des hommes et des femmes qui aiment leurs pays et qui ne s'engagent pas dans des calculs extérieurs au service d'intérêts de pays tiers. L'Algérie souhaite que les futurs dirigeants libyens s'engagent pour les intérêts supérieurs de leur nation et n'entrent pas dans des calculs qui en font des gens qui veilleraient aux intérêts d'autrui et non pas sur le véritable intérêt national.» Affaibli, gêné par ses derniers revers, par les contrôles réguliers de l'opinion de son pays, par l'inflexibilité des critiques, Ramtane Lamamra pèse tout, cherche dans les gazettes étrangères quelques mots bienfaisants sur son action diplomatique. Frondeur et mordant, impétueux même, Ramtane Lamamra pressent les difficultés et les périls. Dans le viseur, le Maroc et... Israël. Au point d'oser des approximations farfelues : «Tous les pays arabes et africains membres de la Ligue arabe et de l'UA, de la Mauritanie jusqu'à l'Egypte, ont été contre l'octroi du statut d'observateur à Israël à l'exception du Royaume du Maroc qui a mené campagne en faveur de ce statut», tonne le diplomate. Par sa position de premier commis des affaires étrangères algériennes, Ramtane Lamamra pouvait mieux que cette facilité. Tous ? Le doute est permis. Lui-même se contredit, saluant seulement «l'Afrique du Sud, le Nigeria, la Tanzanie et la Namibie qui se sont opposés à l'octroi du statut d'observateur à Israël.» 5 pays/54. Une source contactée par nos soins pointe : «Ramtane Lamamra veut ramener l'attention sur des événements que sa diplomatie énervée n'a pas su empêcher. Israël avait ce statut d'observateur au sein de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) jusqu'à sa transformation en Union africaine en 2002. Ce qu'il y a justement de curieux dans ce gouvernement algérien, c'est qu'il résume tous les phénomènes inhérents à un pouvoir qui commence par corrompre les faits avant de finir par corrompre les choses.» Début octobre, un communiqué de la la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) sur le démantèlement d'un réseau lié au Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK), classé «terroriste» par l'Algérie provoque des réactions hilares à l'échelle internationale. Il y est indiqué que des personnes interpellées (17 au total dans les préfectures de Tizi Ouzou, Bejaïa et Bouira, en Kabylie (nord-est), projetaient de mener des «actions armées visant à porter atteinte à la sécurité du pays avec la complicité de parties internes prônant le séparatisme». Selon le communiqué, les suspects ont avoué avoir été «en contact permanent via internet avec des parties étrangères opérant sous le couvert d'associations et d'organisations de la société civile et basées dans l'entité sioniste (Israël) et dans un pays d'Afrique du Nord», selon la même source. Plusieurs vérifications documentées ont prouvé la fausseté de ses assertions. Symbole d'un régime poussé à bout et voulant à tout prix en avoir raison de ses supposés ennemis. Palestine, marchandage et obscénité L'Algérie voit se lever devant elle des alliances alors que sa faiblesse se manifeste à travers tout. On dirait un drame longtemps interrompu qui se renoue subitement, — tant le vieux plan des choses de la junte militaire semble se démolir. La Palestine n'est qu'un prétexte. «Ces procédés d'utiliser de faux arguments au service de ses fins ne sont que l'émanation naturelle de ce système avec toutes ses contradictions, ses frivolités et ses impuissances» note une source proche du dossier. Pour beaucoup, Ramtane Lamamra incarne le spectacle d'un régime aux prises avec lui-même, s'embarrassant dans ses propres pièges, s'affaissant sous son propre poids en entraînant le destin d'un pays. L'Algérie évoque la Palestine, de manière obscène, pour justifier son opposition au retour d'Israël dans le giron africain. La réalité beaucoup plus complexe : La chercheuse Isabelle Werenfels, de l'Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP), tristement célèbre pour son rapport antimarocain dévoilé en mai, a décrypté les motivations profondes qui sous-tendent cette poussée de fièvre algérienne à l'encontre d'Israël. Pour elle, la reprise des relations entre Rabat et Israël «a été un choc pour l'Algérie qui considère que les Israéliens sont désormais à ses frontières», reconnaissant que «le Maroc était bien meilleur en termes de communication extérieure.» Illusions algériennes Ces dernières années, Israël a repris ses relations diplomatiques avec le Maroc, le Tchad et la Guinée. Le Soudan, qui a adhéré aux accords d'Abraham il y a quelques mois, a annoncé la normalisation de ses relations avec Israël. L'Union africaine affirme que Tel-Aviv (qui dispose de 12 ambassades en Afrique) entretient des relations avec 46 pays africains «et a des partenariats de grande ampleur et des coopérations dans de nombreux domaines, y compris le commerce et l'aide». Depuis que l'ambassadeur israélien Chad Aleli Admasu a présenté ses lettres de créance au président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat, le 22 juillet, peu de pays ont publiquement exprimé leur opposition à cette démarche. Seuls l'Afrique du Sud, le Lesotho ou encore l'Algérie, auraient également envoyé une missive à Moussa Faki pour exprimer «leur mécontentement», selon des médias internationaux. Ce qui étonne encore, c'est l'incohérence de la diplomatie algérienne, qui affirme tout et son contraire. En juillet, elle indique «la récente décision du président de la Commission de l'Union africaine d'accueillir un nouvel observateur, qui relève de ses prérogatives administratives, n'est pas de nature à altérer le soutien constant et actif de l'organisation continentale à la juste cause palestinienne et son engagement envers la réalisation des droits nationaux inaliénables du peuple palestinien», tout en rappelant que «les modes de fonctionnement de l'Union africaine ne permettent aucune possibilité pour les 87 Etats observateurs extra-africains d'influencer les positions de l'organisation continentale». Pourquoi donc commenter une nouvelle fois un «non-événement» sans potentiel stratégique, pour reprendre les mots de la politique extérieure du régime algérien, et le requalifier comme «une question politiquement sensible ?» Yair Lapid enfonce le coup À Casablanca le 12 août, Yaïr Lapid avait exprimé ses «inquiétudes au sujet du rôle joué par l'Algérie dans la région, son rapprochement avec l'Iran et la campagne qu'elle a menée contre l'admission d'Israël en tant que membre observateur de l'Union africaine» (UA). Ramtane Lamamra a fustigé, quelques jours après, «des accusations insensées et des menaces à peine voilées». «Ce qui compte, ce sont les très bonnes relations entre Israël et le Maroc, illustrées» par la récente visite de Yaïr Lapid et «la coopération entre les deux pays pour le bien de leurs citoyens et de toute la région», a rétorqué la source diplomatique israélienne. Selon elle, «Israël et le Maroc sont une partie importante d'un axe pragmatique et positif dans la région face à un axe qui va en sens inverse et qui inclut l'Iran et l'Algérie». Cette même source a dénoncé les «accusations» algériennes contre Tel-Aviv dans le cadre de la grave crise diplomatique entre l'Algérie et le Maroc, les qualifiant d'«infondées et sans intérêt», appelant Alger à «se focaliser» sur ses «problèmes» économiques. «Nous parlons aux Marocains tout le temps. (…) L'Algérie devrait se focaliser sur l'ensemble des problèmes auxquels elle est confrontée, en particulier les problèmes économiques sérieux», a ajouté cette source sous couvert d'anonymat. Le Maroc «joue dans la cour des grands» Dans plusieurs de ses numéros depuis décembre, l'influente revue de l'ANP, El-Djeïch, avait appelé les Algériens à se «tenir prêts à faire face à des "menaces imminentes"». Ses éditoriaux faisaient état de «la détérioration de la situation régionale le long de notre bande frontalière et [de] la menace que font peser certaines parties ennemies sur la sécurité de la région ces derniers temps». Certaines parties ennemies ? Devinez qui. Pour justifier sa nouvelle rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, Alger énumère une longue liste de récriminations, qui remonte à la défaite algérienne lors de la «guerre des sables» de 1963, puis évoque le conflit du Sahara et s'achève en dénonçant le danger que représente pour l'Algérie et pour la région la reprise des relations entre Israël et le Maroc actée en décembre 2020. Sans convaincre qui que ce soit. Le geste de l'administration américaine n'a fait ainsi que conforter un rapport de force diplomatique largement favorable à Rabat. Le retentissement de cette décision tripartite «est énorme, commente la politologue Khadija Mohsen-Finan, enseignante à l'université Paris-I. Elle est économique, stratégique. Et elle positionne désormais le Maroc comme une puissance régionale jouant dans la cour des grands.» Les relations militaires entre Washington et Rabat, dont 91 % des achats d'armes à l'étranger proviennent des Etats-Unis, sont déjà très ancrées. «L'Algérie vit d'une illusion de croire qu'il donne l'ordre, la sécurité, la stabilité; un certain ton, sauf qu'il ne donne qu'un ordre factice, une assurance sans lendemain, et cette stabilité dont on lui fait honneur est toujours à la merci de toutes les fluctuations, lesquelles peuvent aussi tout mettre en combustion» nous indique une source proche du dossier. Avec le nouvel axe Israël-Maroc, l'équilibre stratégique régional est en pleine mutation. Le Maroc, victorieux par K.O. Isabelle Werenfels a su poindre la supériorité de Rabat. «Ces dernières années, c'est le Maroc qui a marqué des points. Non seulement, le royaume a remporté d'importants succès économiques, politiques, diplomatiques (diplomatie religieuse, régularisation de migrants subsahariens, participation à la COP 22, etc.), en Afrique subsaharienne et sur la scène internationale. Mais il a aussi très bien su les vendre. C'est un trauma pour un pays comme l'Algérie, qui a joui par le passé d'un immense prestige sur le continent. Alger était notamment perçue par de nombreux Africains comme la Mecque du tiers-mondisme, des mouvements révolutionnaires» a-t-elle déclaré dans un entretien au Monde. Un passé révolu.