Les journalistes Eric Laurent et Catherine Graciet sont soupçonnés d'avoir demandé plusieurs millions d'euros à l'avocat de la famille royale marocaine, en 2015, pour enterrer un projet de livre. Ils avaient été interpellés juste après avoir scellé une transaction de deux millions d'euros pour ne pas publier un livre en gestation : les journalistes français Eric Laurent et Catherine Graciet seront jugés à Paris en correctionnelle pour «chantage» sur le roi Mohammed VI. Près de six ans après le début de l'affaire, des juges d'instruction parisiens ont ordonné un procès pour «chantage» pour les deux journalistes, auteurs d'un précédent ouvrage à charge sur le Maroc, publié en 2012. Les magistrats ont en revanche abandonné les poursuites pour «extorsion de fonds par menace», selon leur ordonnance de onze pages datée du 2 février, consultée par l'Agence France-Presse. Cette rocambolesque affaire avait éclaté à l'été 2015. Eric Laurent et Catherine Graciet avaient signé quelques mois auparavant un second contrat d'édition avec Le Seuil, ayant de nouveau pour sujet les cercles du pouvoir au Maroc. Le 23 juillet, Eric Laurent contactait le secrétariat particulier du roi du Maroc en vue d'obtenir un rendez-vous, finalement organisé le 11 août avec un émissaire de la monarchie, l'avocat marocain Hicham Naciri. Lors de cette rencontre, M. Laurent, ancien reporter de Radio France et du Figaro Magazine, annonçait la publication prochaine d'un second ouvrage à caractère scandaleux sur le Maroc. Rabat, défendu au cours de la procédure par Eric Dupond-Moretti, aujourd'hui ministre de la justice, assure que les deux journalistes réclamaient trois millions d'euros. Le 20 août, le Maroc déposait plainte à Paris et une enquête était ouverte. Deux autres rencontres suivaient, le 21 et le 27 août, au cours desquelles la somme négociée était ramenée à deux millions d'euros. Enregistrements clandestins Absente lors des précédentes entrevues, Catherine Graciet s'était présentée le 27 août avec Eric Laurent au rendez-vous. Elle avait alors confirmé à Me Naciri soutenir la démarche de son confrère. «Je suis d'accord avec les modalités qu'Eric a énoncées. Y a pas de soucis avec ça, nous sommes sur la même longueur d'onde», avait-elle affirmé à son interlocuteur, selon la retranscription de l'enregistrement audio de cet entretien. Les deux journalistes s'étaient ensuite vu remettre deux enveloppes renfermant chacune 40 000 euros en coupures, le tout sous la surveillance discrète de la police, qui les avait interpellés alors qu'ils quittaient les lieux. L'émissaire du roi avait enregistré en cachette chacune des rencontres, avant d'en remettre une copie aux enquêteurs. Ces enregistrements clandestins, réalisés alors même qu'une enquête avait été ouverte, ont été au cœur d'une bataille procédurale durant l'enquête. La Cour de cassation a finalement débouté les deux journalistes en novembre 2017. «Aucun fondement factuel» Dans leur ordonnance, les juges estiment qu'«en termes voilés, déguisés sous des réticences, Eric Laurent (...) a menacé Mohammed VI, la famille royale et le Royaume du Maroc de révéler des informations de nature à porter gravement atteinte à la réputation de la famille royale et à déstabiliser le régime en place, pour obtenir le versement (...) d'une somme d'argent disproportionnée et injustifiée». Me Antoine Vey, avocat du Royaume avec Me Ralph Boussier, s'est félicité de la décision des magistrats, qui «démontre un comportement extrêmement préoccupant qu'il reviendra au tribunal de qualifier».