Le romancier d'origine saoudienne Abderrahman Mounif est décédé samedi matin à Damas, des suites d'une crise cardiaque à l'âge de soixante-dix ans. Auteur d'une œuvre monumentale sur le bouleversement de la société traditionnelle provoqué par la découverte du pétrole, Mounif a dénoncé dans ses écrits la répression dans le monde arabe. Dans la littérature arabe, il sent le soufre. Les critiques l'avaient souvent apparenté au Marocain Mohamed Choukri. Alors que ce dernier avait subi et choisi la marginalité comme mode de vie, Abderrahman Mounif a connu l'ostracisme, en raison de ses positions politiques. Ses sympathies marxistes et son activisme politique lui ont valu d'être déchu de sa nationalité saoudienne en 1963. Depuis cette date-là, il a vécu en exil dans plusieurs pays arabes. Nombre de ses livres traitent de cet exil qu'il a raconté dans une langue claire, directe, sans euphémisme. A l'image de son livre “Ard al-sawad“ (Terre sombre) où il a brossé l'épopée de l'une de ses villes d'adoption : Bagdad. L'autobiographie a toujours nourri les livres d'Abderrahman Mounif. Né en 1933 de père saoudien et de mère irakienne à Amman, Abderrahman Mounif a consacré à la capitale jordanienne un livre, “Amman, une ville dans la mémoire“ où il relate ses souvenirs. Il rejoint en 1952 l'université de Bagdad, continue ses études au Caire, avant de s'envoler pour Belgrade. Il y fait la connaissance du marxisme et obtient un doctorat en sciences pétrolières. Mounif a tiré un double parti de sa connaissance de la réalité pétrolière dans le monde arabe. Il travaille d'abord comme expert pétrolier à Bagdad, mais ne tarde pas à quitter ce pays en 1981, dégoûté par la situation politique. Mais il a surtout exploité cette expertise pour écrire le roman arabe qui traite avec le plus de réalisme des changements introduits par l'or noir : “Les villes de sel“(moudoun al milh). Une œuvre monumentale en cinq tomes (1984-1989) où il relate l'histoire d'un pays mythique, l'Arabie saoudite, et le bouleversement de la société traditionnelle, provoqué par la découverte du pétrole. “Les villes de sel“a “ouvert de vastes perspectives pour le roman arabe“ car il s'agit d'une “tentative de relire l'histoire en prenant en considération l'aspect humain, loin de l'histoire officielle“, avait estimé le jury du premier congrès consacré au roman arabe au Caire en 1998 qui lui avait accordé le premier prix. Pour l'intellectuel palestino-américain Edward Saïd, décédé en 2003, il s'agit de “la seule œuvre de fiction sérieuse qui tente de montrer les conséquences (de la découverte) du pétrole, des Américains et des oligarchies locales sur un pays du Golfe“. En plus des “Villes de sel“, Abderrahman Mounif est l'auteur de plusieurs livres : “L'arbre et le meurtre de Marzouk“en 1973, “Histoire d'amour d'une mage“, la même année, “L'Est méditerranéen“ en 1975, et “Le tourment d'une absence“ en 1989. La plupart de ces ouvrages sont traduits en anglais et en français. Pour la traduction en français, les livres d'Abderrahman Mounif sont édités chez Sindbad et Actes sud. La plupart de ses livres sont interdits dans plusieurs pays arabes, tout particulièrement dans les monarchies du Golfe où la littérature de Mounif est frappée du même ostracisme que son auteur.