La société française ne cesse pas de s'interroger sur les bouleversements que provoque l'installation de plus en plus prégnante, en son sein, d'un Islam «militant». Jusqu'à ces trois ou quatre dernières années, la plupart des entreprises ne se préoccupaient guère des appartenances religieuses de leurs salariés. Tout au plus, leurs dirigeants avaient-ils à gérer la question des jours de fête et les demandes de congés au moment du mois de Ramadan. A présent, un peu partout, les revendications d'employés qui affichent leur foi religieuse se font plus pressantes : réclamations de nourriture halal là où il y a des restaurants d'entreprise, demandes d'horaires aménagés et de lieux pour faire la prière, revendications de pouvoir porter le voile de la part de jeunes femmes de plus en plus nombreuses... A l'image du reste de la société laïque française, les entreprises se concevaient jusqu'à ces dernières années comme des espaces neutres en matière religieuse. Voilà que ce statut devient de plus en plus difficile à maintenir. Dieu s'est invité dans l'entreprise. Ou, plutôt: les zélateurs de Dieu s'imposent dans l'entreprise! Devant ce phénomène, les chefs d'entreprise se trouvent très démunis et cherchent des aides. La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), que préside depuis sa création en 2005 l'ancien P-DG de Renault Louis Schweitzer, a émis au printemps dernier un avis rappelant que, dans le cadre actuel des lois, les demandes religieuses des salariés ne peuvent être refusées que lorsqu'elles pénalisent le service. Voilà qui laisse le champ libre à des interprétations très variées et contradictoires! De son côté, l'association «IMS-Entreprendre pour la cité», qui regroupe de grandes entreprises autour de Claude Bébéar, ex-P-DG d'Axa, a publié un guide pour tenter d'éclaircir la problématique. Mais on y relève surtout les obstacles qui se présentent aux dirigeants d'entreprise lorsqu'ils veulent poser des limites à l'expression religieuse. Des consultants apparaissent, qui sont de plus en plus sollicités. Parmi eux, l'anthropologue Dounia Bouzar ( qui vient de publier aux Editions Albin-Michel un nouvel ouvrage intitulé : «Allah a-t-Il sa place dans l'entreprise?» ) et l'essayiste Patrick Banon ( qui a publié successivement, de son côté, «Dieu et l'entreprise» et «La révolution théoculturelle» ). Abordant le problème des demandes de viande halal, ce dernier considère : «Le restaurant d'entreprise est dans son rôle quand il propose des plats sans porc, mais ce n'est pas à lui de fournir de la viande «sacrée», halal ou casher, tuée au nom de Dieu. La notion de pureté est exponentielle et il y a quatre mille croyances sur terre!». Tous ces débats peuvent se révéler positifs s'ils amènent les différentes partenaires des entreprises à réfléchir ensemble sur les conditions du «vivre ensemble». Dans un contexte de grande déprime économique, sociale et morale, où l'on entend de plus en plus parler de suicides liés au «mal vivre» dans son milieu de travail, s'interroger sur la spiritualité n'est certainement pas mauvais. Cependant, les revendications religieuses ont aussi pour effet d'ajouter de nouveaux obstacles à l'embauche de personnes maghrébines ou africaines. Pour ne pas risquer avoir à gérer cette nouvelle question de la présence de «Dieu dans l'entreprise», les employeurs vont être de plus en plus nombreux à refuser l'embauche de candidats ayant un lien avec l'Islam.