Le taux de suicide dans les prisons françaises est deux fois celui de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne et trois fois celui de l'Espagne. Quand, à la faveur du dernier remaniement ministériel, Michelle Alliot-Marie avait quitté le ministère de l'Intérieur pour rejoindre celui de la Justice, elle savait qu'un des principaux défis qu'elle allait relever, outre de gérer le profond spleen du personnel judicaire qu'avait impliqué une reforme à la hussarde de la carte judiciaire, touchait à un phénomène aussi sensible que particulier, le suicide dans les prisons françaises. Sur cette question, point n'est besoin d'une polémique enflammée. Les chiffres sont d'une redoutable éloquence.115 prisonniers se sont donné la mort en 2008 et déjà 92 autres se sont suicidés depuis le début de l'année 2009. La tendance est irrésistiblement à la hausse donnant à la France une exception et une distinction, loin d'être une source de fierté. En effet, selon les chiffres publiés par le conseil de l'Europe, le taux de suicide dans les prisons françaises est deux fois celui de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne et trois fois celui de l'Espagne. Les raisons de cette flambée de suicide que Nicolas Sarkozy avait déjà eu l'occasion de qualifier de «honte pour la République», sont à trouver du côté d'un phénomène particulier des prisons françaises : la surpopulation carcérale. Et là aussi les chiffres sont loquaces : Au 1er août 2009, les prisons françaises hébergeaient 63.189 détenus pour 51.000 places. Très attendue sur le sujet, la nouvelle garde des Sceaux est descendue dans l'arène pour proposer quelques mesures destinées à diminuer cette épidémie de suicides dans les cellules encombrées. Parmi ces propositions, la distribution pour les personnes à risque de draps et de couvertures indéchirables et de pyjamas en papier à usage unique et de matelas anti-feu. Le tout accompagné d'une promesse de formation du personnel pénitencier pour «détecter, selon l'expression de Michelle Alliot-Marie, les détenus qui présentent un risque suicidaire et de mieux les accompagner». Ces dispositions ne sont pas inédites. Elles figuraient déjà dans le rapport que le Dr Louis Albrand avait remis l'hiver dernier à l'administration pénitentiaire. Le Dr Louis Albrand n'est tendre ni avec Michelle Alliot-Marie ni avec son prédécesseur Rachida Dati : «Ce qu'elle a repris, c'est le rapport édulcoré, c'est pas mon vrai rapport (…) je suis triste parce que si mes mesures avaient été appliquées dès décembre dernier (...) on aurait sauvé des dizaines de vies cette année». Michelle Alliot-Marie s'est risquée à rajouter une mesure supplémentaire qui fait déjà polémique, celle de charger des détenus volontaires pour accompagner les prisonniers en situation de détresse psychologique. L'Observatoire international des prisons que préside l'ancienne journaliste de «Libération» retenue otage en Irak en 2005, Florence Aubenas, s'est insurgé contre ce plan qui «pousse la logique à l'absurde car il préfère offrir des conditions de détention plus favorables au codétenu qui se voit déléguer la tâche de prendre en charge, en lieu et place de la puissance publique, la personne en crise suicidaire, plutôt que d'assouplir les conditions de détention de cette dernière». En filigrane de ce plan pour lutter contre l'épidémie des suicides dans les prisons françaises, la tentation pour Michelle Alliot-Marie de revoir l'ensemble de la politique pénitentiaire de Nicolas Sarkozy que Rachida Dati appliquait avec zèle. Le constat pour la nouvelle ministre de la Justice est que les choix de l'ancienne locataire de la place Vendôme conduisaient immanquablement à grossir la population carcérale et donc à favoriser les conditions des suicides. Comment faire marche arrière sans se renier ? Michelle Alliot-Marie mise sur une nouvelle loi dont l'esprit est de favoriser les libérations anticipées et les aménagements de peines. Objectif prioritaire ; désengorger les 194 prisons françaises. La situation devient d'autant plus urgente que les prévisions de l'Inspection générale des services judicaires (IGSJ) sont loin de renverser la tendance. Dans un rapport daté de mars dernier, l'IGSJ écrit : «Les projections de population sous écrou effectuées par l'administration pénitentiaire (...) aboutissent à la prévision de 71.000 détenus en 2012 et de 80.500 en 2017».