Pour mesurer l'ampleur des attentes des Français, Nicolas Sarkozy doit composer avec les avertissements lancés par des syndicats traditionnellement proches du patronat. Sans tomber dans une grandiloquence bon enfant ni dans une dramatisation à outrance, l'exercice télévisuel qui attend Nicolas Sarkozy ce jeudi fait sans aucun doute partie de ces moments rares dont l'importance dans un quinquennat est soit d'accentuer un virage, soit de précipiter une cadence. L'homme est attendu par tout un pays, inquiet de la chute de sa capacité à produire le double d'une montée significative du chiffre du chômage, pour livrer une grande pédagogie de la crise. Il est vrai que cette intervention a été décidée au lendemain d'une journée de mobilisation nationale où les centrales syndicales avaient efficacement repris leur habilité à encadrer et à instrumentaliser les peurs et les frustrations. Et par crainte d'apparaître comme un homme politique à qui la rue en colère dicte un agenda, l'Elysée a tenu à faire savoir que cette intervention «n'est pas une réponse au 29 janvier, c'est beaucoup plus large que cela… C'est une explication globale de tout ce qui a été fait et de tout ce qui va être fait face à la crise que traverse la France». Sans doute pour ne pas laisser s'envoler le plafond des espérances et des attentes des Français, Nicolas Sarkozy a fait précéder son intervention par la révélation du plan de relance par le Premier ministre François Fillon doté d'un budget de 26 milliards destinés à financer 1.000 chantiers. Et pour une fois encore, le Premier ministre a servi de leurre, de punching-ball pour encaisser les coups et désamorcer la violence des critiques. L'opposition est donc tombée à bras raccourcis sur François Fillon et son plan. «Beaucoup d'esbroufe et peu d'effet», a dit le PS, tandis que l'ancien Premier ministre socialiste, Lionel Jospin, fait un diagnostic des plus sévères : «Je le trouve sous-dimensionné. Vingt-six milliards d'euros, ce n'est pas à la hauteur des enjeux (…) Je le trouve mal calé dans le temps (..) Et je le juge déséquilibré entre l'offre et la demande. Il faut bien sûr favoriser l'offre, mais il faut aussi appuyer la demande et notamment la consommation». Etait-ce une stratégie de communication politique bien rodée de jeter François Fillon et son plan en pâture à l'opinion et à l'opposition pour pouvoir débarquer sur son cheval blanc présidentiel, apporter les redressements et les corrections indispensables et pouvoir ensuite en tirer le bénéfice ? Pour mesurer l'ampleur des attentes des français, Nicolas Sarkozy doit composer avec les avertissements lancés par des syndicats traditionnellement proches du patronat et des salons ministériels comme la CFDT. Son secrétaire général François Chérèque, pourtant loin d'être un intime de l'idéologie du Grand Soir, s'époumone à alerter le pouvoir politique : «ce qu'on attend du gouvernement c'est qu'on sorte de cette rigidité qu'a exprimée le Premier ministre François Fillon (…) Si le président de la République répond de la même façon (...) s'il reste sur cette rigidité, inévitablement, il y aura un conflit qui va s'amplifier et on ne trouvera pas de solution». Dominique de Villepin, le frère ennemi de Nicolas Sarkozy, y va de sa petite phrase assassine. Reprenant au vol tous ceux qui affirment avec la fierté des têtus pour les uns, la conviction des croyants pour les autres, que le président de la République ne va pas changer de cap dans les réformes, il balance : «je pense qu'entre ne pas changer de cap et ne rien faire, il y a des marges (…) c'est le moment de préciser le cap, de corriger la route et véritablement d'envoyer des signaux comme quoi il (Sarkozy) écoute les Français». Nicolas Sarkozy est donc attendu au tournant. Pour de nombreux observateurs, il ne peut que faire sa mue en direct. Après avoir gagné le cœur en leur promettant d'être le «président du pouvoir d'achat», il va sans doute tenter de conserver leur estime en essayant d'être le bon gestionnaire de la crise. La tâche est difficile face à une opinion de plus en plus sceptique comme le montrent les résultats d'un sondage publié hier dans le journal «L'humanité» où l'on apprend que près de deux Français sur trois (62%) pensent que la politique du gouvernement ne permet pas de lutter efficacement contre la crise et que 61% souhaitent que les syndicats appellent à la poursuite de la mobilisation.