L'évènement historique qui vient de se produire aux Etats-Unis a déjà fait couler beaucoup d'encre, et cela n'est certainement pas prêt de cesser. On nous permettra de revenir sur un aspect de la personnalité du nouveau président élu, auquel ne peuvent qu'être sensibles les opinions publiques musulmanes. Tout au long de sa campagne, Barack Obama, en effet, a dû, si ce n'est rendre compte de son enracinement dans la foi chrétienne, du moins se défendre d'être musulman comme l'en accusaient certains de ses adversaires. Quand on sait combien le traumatisme des attentats du 11 septembre 2001 est encore vivace chez une grande partie des Américains, on peut imaginer aisément l'impact que pouvaient avoir de telles suspicions. Son deuxième prénom, Hussein, a donc été très peu mentionné pendant toute la campagne, pour éviter les amalgames : le New York Times, par exemple, s'est gardé d'utiliser ce prénom, jusqu'au lendemain des élections où en couverture du journal on pouvait lire pour la première fois « Barack Hussein Obama ». Une manière d'assumer cette identité culturelle et ethnique américaine incarnée par celui qui occupe aujourd'hui la plus haute fonction de l'Etat ? L'homme qui s'est réveillé le 5 novembre à la tête de la première puissance mondiale est le fils d'un homme noir musulman du Kenya et d'une femme blanche chrétienne du Kansas, puis marié à une Américaine noire qui a en elle du sang d'esclaves et du sang de propriétaires d'esclaves. En ce sens, Barack Hussein Obama est le symbole d'un grand bouleversement contemporain : l'avènement d'une humanité de plus en plus métissée, de plus en plus plurielle, où les clivages meurtriers qui peuvent séparer les races, les cultures, les religions ont vocation à s'estomper. Les démographes prédisent ainsi que dans une vingtaine d'années, les Américains «blancs» seront devenus minoritaires. Un phénomène qui déborde les simples frontières des Etats-Unis pour toucher aussi le Vieux Continent où les mariages mixtes par exemple sont en constante croissance. Ce qu'il y a de fort chez Obama, c'est qu'il a su synthétiser les projections de plusieurs groupes ethniques, religieux, sociaux. Pour les Noirs, il est l'accomplissement du grand rêve inachevé de Martin Luther King et de tous ceux qui ont lutté pour les droits civiques. Pour les démocrates, il est la revanche tant attendue après huit ans de politique républicaine désastreuse sur le plan économique, international, et… éthique (Guantanamo). Pour le monde entier, il est l'incarnation de l'impossible, de l'inespéré, devenu possible. Il n'y a qu'à voir la liesse des Kényans, des Sénégalais, de toutes les minorités, remerciant à chaude voix les «Américains» d'avoir désigné Obama comme président ! Mais Barack Obama ne doit pas être l'otage de son histoire personnelle, ni de celle de son pays : il est certes un homme riche de sa diversité, miroir de celle de la société américaine. Mais il n'agira pas comme Black, ou comme Africain : il agira d'abord comme un Américain. Car au-delà du symbole qu'il représente, du miracle qu'il a accompli, il y a le réel qui l'attend.