Les bons comptes font les bons amis. Mon confrère et non moins ami Jamal Berraoui avait fait la semaine dernière l'exégèse d'une des mes chroniques. J'en suis devenu son obligé. Et j'ai en horreur les dettes épistolaires. M. Jamal Berraoui n'est pas un novice. En plus d'avoir de l'intelligence rédactionnelle, il tutoie l'écriture depuis des lustres et en connaît tous les formes et vices. Il a, dans sa précédente chronique sur ALM, plaidé pour la clarté en examinant, sous toutes ses coutures et plis, la confusion d'un de mes textes « L'homme tranquille». Il a commencé, en revanche, par commettre une entorse à la rigueur du débat. J'avais écrit un papier sur Fouad Ali El Himma. Il m'a fait une réponse sur le Mouvement de tous les démocrates. Si c'est délibéré, c'est vicieux mais pas grave. Si c'est inconscient alors, c'est dramatique et cela signifie que malgré sa sagacité, Si Jamal si futé qu'il est, comme tant d'autres, verse dans des réflexes qui participent non pas d'une pensée unique mais inique. Avant de revenir au fond sur le Mouvement de tous les démocrates, deux choses sur la forme. Si Jamal a pris le soin, avec un rictus sur le coin des lèvres, de mettre le qualificatif «Si Fouad» entre les guillemets. Sans en avoir l'air, il veut m'enfermer dans la déférence. Il n'est pas sans savoir que si l'usage du seul prénom, dans la culture marocaine est une marque de proximité, voire d'amitié, l'usage du «Si» n'est, en la circonstance, ni une particule de noblesse ni un élément de révérence. C'est plutôt une marque de respect qui écarte toute familiarité. Secundo, on a le droit de ne pas être convaincus par un projet, voire le suspecter. On ne peut, pour autant réduire ses prometteurs en simples benêts, adeptes du moutonisme et atteints de suivisme myope, enivrés qu'ils sont par le fanatisme et l'allégeance obtuse à une personne aussi charismatique soit-elle. N'en déplaise à Si Jamal, les membres du mouvement ne sont pas un fan club. C'est un club plutôt fin qui rassemble des femmes et des hommes qui partagent au moins leurs visions de la marocanité pour ne pas dire de la citoyenneté. Ils ont le Maroc en eux. Ce sont des gens qui pour la plupart ont fait carrière. Ils n'attendent rien de personne. Ils sont exigeants d'abord avec eux-mêmes. Ensuite avec l'histoire et la mémoire. Ils entendent aussi être exigeants avec l'avenir. Rigoureux intellectuellement, ils portent en eux une dose d'optimisme pour ce pays. Ils croient, en cette période de désenchantement, au sursaut dont notre Maroc et les Marocains ont tant besoin. Ce sont de longues rencontres qui ont précédé ce fameux 17 janvier. Ils les ont consacrées à débattre, entre eux, avec exigences et souvent avec humilité tant les questions posées sont difficiles. Ils ont même disséqué et anticipé les éventuelles réactions que leur initiative pouvait provoquer. Et ils ne se sont pas trompés puisque le scénario diabolique de la personnification outrancière, de l'anathème et du dénigrement n'a pas manqué d'advenir. Je n'ai jamais écrit que le Mouvement de tous les démocrates n'est ni de droite ni de gauche. J'ai écrit, et je le réaffirme, que El Himma n'est ni de droite ni de gauche et qu'il est Marocain avec tout ce que cela comporte comme qualités et défauts. Ce procédé de transfert entre Si Fouad et le mouvement dont il est l'un des initiateurs le plus emblématique est une escroquerie innommable. Et si confusion il y a, c'est justement à ce niveau qu'elle se situe. Plus grave, elle confine dans la paresse intellectuelle. En agitant « l'ami du Roi», on tente d'amoindrir la teneur du défi que lui avec d'autres tentent de relever : reviviez le champ et l'action politique. S'il faut discuter du mouvement, faisons-le. Argument contre argument. A condition de cesser de radoter sur le diagnostic. ça suffit. Les problèmes épineux du pays sont connus de tous. Ce sont les réponses adéquates qui font défaut et auxquelles la démagogie ne peut pallier. L'écroulement de l'école publique, la persistance de la pauvreté aggravée par la cherté de la vie et la situation mondiale, le déficit de confiance et la défiance dans les institutions. Tout cela est connu. Archiconnu. Que peut alors un pays pauvre, sans pétrole ni rien à vendre au monde? Une seule chose : s'appuyer sur ses ressorts propres qui sont, pour l'essentiel, humains. Qui peut le faire pour le Maroc si ce n'est les marocains eux-mêmes. Il faut pour cela un projet de société, du volontarisme, beaucoup d'audace et de l'effort. Et surtout une adhésion populaire. L'action politique est la seule activité humaine qui est en mesure de hisser un peuple au niveau du dépassement de soi et qui lui permet de se transcender. Or, chacun en convient, le champ politique est en ruine. Faut-il s'en contenter ? Ou laisser le peuple marocain à ceux qui lui proposent la barbe et le salut? Le Mouvement de tous les démocrates se contente de chercher les moyens pour provoquer, avec les Marocains, le sursaut. C'est difficile, mais c'est un combat qui mérite d'être entrepris. Car ne sont perdus d'avance que les combats qui ne sont pas menés. La recomposition du paysage politique n'est pas simplement une nécessité. C'est une urgence. Cela pose la question de savoir avec qui. Avec quelle élite? Avec quelle presse ? Avec quel type de personnels politiques ? Pour quelles reformes impérieuses aussi douloureuses soient-elles? Mais on ne part pas de rien. Nous avons un socle et quelques évidences partagées. La monarchie est un pôle de stabilité et de progrès. Le pays négocie une transition importante. Nous avons le diagnostic du cinquantenaire et les recommandations de l'Instance équité et Réconciliation qui peuvent constituer des références. Il reste que le pays souffre du décalage entre les grandes aspirations stratégiques partagées par les élites et la situation de sinistrose qui domine dans le pays. Cette sinistrose qui, chaque jour, se nourrit des problèmes socioéconomiques, de la constance de la pauvreté, du fossé qui se creuse entre le Maroc magique des riads et de la mosaïque et le Maroc prosaïque. Cette sinistrose qui se gave aussi de tous les déclinologues qui pullulent dans le paysage «médiocratique» marocain. Dans sa démarche et avant de faire des propositions y compris, pourquoi pas la création d'un parti, le mouvement a décidé d'aller à la rencontre des gens, d'aller à la rencontre des régions, d'aller à l'écoute. C'est une démarche participative qui est en soi louable et sans précédant dans notre pays. Le mouvement fait des rencontres et non pas des meetings comme «Benatik qui a rassemblé six mille personnes et n'a pas gagné sa circonscription». Pour un meeting, on mobilise artificiellement des cars et des troupes qui viennent écouter la bonne parole. Pour les rencontres du mouvement, c'est sur invitation archi-sélective que des centaines de femmes et d'hommes viennent parler sans entraves. Dire leurs aspirations et leurs doutes. Leurs colères et leurs espérances. Ils le font avec la maladresse des gens non habitués aux tribunes et aux effets de manche. Mais ils le font avec sincérité. C'est avec ces gens-là qu'il faut faire un pacte. A Casablanca, dimanche dernier, beaucoup de choses importantes ont été dites. Sur le modèle de société auquel on peut aspirer. Sur la démocratie et la modernité comme mamelles de notre avenir ensemble. En France, cela donnerait des éditoriaux des grandes plumes du pays pour acclamer ou démonétiser mais aussi pour aider l'opinion à se faire une idée. Au Maroc, adepte du journalisme des coulisses, on a retenu que Big, couche-tard, s'est réveillé tôt. Qu'Abdelhadi Belkhayat a regardé tendrement El Himma. Que celui-là est rentré par telle porte. Que celui-ci a demandé un point d'ordre. Qu'il y avait beaucoup de filles, sous-entendu, des pin-up que ma myopie ne m'a pas aidé à repérer. Qu'il y avait un convoi de voitures luxueuses... Une dernière chose. Si les partis politiques étaient forts dans ce pays, non seulement on le saurait, mais il n'y aurait pas besoin d'une action comme celle du Mouvement de tous les démocrates. Tout le monde a cru que les élections de septembre 2007 allaient provoquer un sursaut dans les partis politiques. Il n'en a rien été. Pire, le spectacle donné par le 8ème Congrès de l'USFP n'augure rien de bon. Cela me donne ici l'occasion de revenir sur El Gahs dont j'ai déploré le silence stoïque et surtout sur l'interprétation qu'en a fait Si Jamal. Si j'ai déploré ce retrait militant, c'est pour mieux regretter cette absence. Fidèle en amitié et en conviction, j'ai toujours pensé que notre pays et la gauche ont un impérieux besoin de personnes de la trempe de Si Mohamed pour son expérience militante, pour son honnêteté intellectuelle et pour la hauteur morale de son regard sur notre société et notre peuple. Parce que ce pays et son avenir ont encore besoin de l'idée socialiste et d'une âme de gauche. L'idée socialiste exige un retour sur elle-même. Cela, seuls les socialistes peuvent le faire. Entre eux. Et ce serait une grave erreur d'accuser la main invisible d'El Himma ou la botte secrète du Mouvement de tous les démocrates des difficultés qu'ils vivent. Le mal des socialistes est en eux. Je disais dernièrement à un ami, talentueux en gestion et engagé politiquement, comment est-ce possible que tu sois si exigeant face à un dossier de faillite d'une entreprise et si accommodant face à la faillite du champ politique? Pourquoi là la compétence et ici l'impuissance. Il en a souri. Oui, mine de rien, la demande politique est forte chez les Marocains. Il lui faut une réponse. En la matière, à la différence des antiquaires, on ne peut pas faire du neuf avec de l'ancien. Le mouvement veut relever le défi. La personnification outrancière, entretenue depuis le 17 janvier, ne l'affaiblit en rien. Personnifiez ! Personnifiez, il en restera toujours quelque chose. Et le «tracteur» risque d'en devenir un rouleau compresseur.