En proposant à la Syrie de renforcer son potentiel militaire, l'Iran veut faire échouer une éventuelle relance de pourparlers entre Damas et Israël et diminuer les chances de succès de l'initiative de paix adoptée par la Ligue arabe lors du Sommet de Riyad. Le jeu d'échecs a été inventé par les Perses et Mahmoud Ahmadinedjad a choisi pour échiquier le Proche-Orient. Seulement, il a oublié combien la famille Assad de Syrie savait manipuler les pions en cas de besoin. Dans la partie qu'il mène contre tous les pays hostiles à l'expansionnisme iranien et chiite, le président iranien en a administré une nouvelle preuve à l'occasion de sa visite, la semaine dernière, à Damas. Il a successivement rencontré son homologue syrien, Bachar Al Assad, le chef du Hezbollah, Cheikh Hassan Nasrallah et le dirigeant de la branche extérieure du Hamas, Khaled Mechaâl, auxquels il a promis que «l'été 2007 serait chaud». Selon le journal londonien Al Shark Al Awsat, généralement bien informé, le président iranien aurait promis à Bachar Al Assad une aide d'un milliard de dollars pour l'achat à la Russie et à la Corée du Nord de 400 blindés T 64, d'avions de chasse Mig 18 et de divers équipements militaires. Téhéran se serait également engagé à encourager financièrement le développement de l'industrie d'armement syrienne, à lui fournir une aide en matière de recherche nucléaire et à entraîner les marins et les aviateurs syriens. En échange de la consolidation de cet axe Damas-Téhéran, Bachar Al Assad aurait promis de faire échouer ses tentatives de dialogue avec Israël. Les informations données par Al Shark Al Awsat apparaissent étranges à certains milieux de l'opposition syrienne et iranienne. Ceux-ci soulignent le caractère fantaisiste des chiffres donnés, surtout en l'absence d'une confirmation par Damas de la signature d'un accord à ce sujet avec le président iranien. Les proches du Premier ministre israélien se déclarent très sceptiques sur la véracité des affirmations d'Al Shark Al Awsat, alors que des dirigeants politiques israéliens, membres du gouvernement, vont jusqu'à demander la constitution d'un gouvernement d'union et de défense nationale. En fait, il semblerait que Mahmoud Ahmadinedjad aurait été piégé par Bachar Al Assad qui a hérité de son père un sens certain de la dissimulation et de la manipulation. Selon certains observateurs, le raïs syrien serait à l'origine de la divulgation de « fuites » sans fondement. D'autant que son interlocuteur ne peut les démentir, puisqu'elles servent sa stratégie. Ces mêmes sources prétendent que ces rumeurs du grand journal londonien de langue arabe ont filtré avant la visite, en Israël, des ministres jordanien et égyptien des Affaires étrangères. Abdullah Al Khatib et Ahmed Aboul Gheit venus présenter aux responsables israéliens le plan de paix arabe adopté lors du Sommet de Riyad les 28 et 29 mars dernier : un plan à propos duquel la Syrie s'est abstenue. Ce qui équivalait à une acceptation tacite, confirmée, ensuite, par les multiples propositions faites par différents officiels syriens de rouvrir des discussions bilatérales avec Israël. C'est la conviction du roi Abdallah d'Arabie saoudite. Or, comme le note un analyste israélien, «la paix avec la Syrie est indispensable à la réussite de l'initiative arabe» dans laquelle les pays arabes modérés voient le plus sûr moyen de freiner l'expansionnisme chiite au Proche-Orient qui risque fort de les déstabiliser. En brandissant la menace d'un renforcement de son alliance avec Téhéran, Bachar Al Assad aurait fort bien voulu indiquer à Riyad qu'il pourrait jouer la carte du pire s'il ne recevait pas une aide lui permettant de relancer son économie qui connaît une période de forte récession. Quant à Mahmoud Ahmadinedjad, en ne démentant pas les rumeurs venues de Londres, il confirme une hostilité radicale au plan de paix arabe dont une éventuelle réussite se traduirait par le recul de son pays sur la scène proche-orientale. Il se positionne encore en défenseur d'une ligne dure qui, selon lui, aurait les faveurs des opinions publiques locales. Cette ligne dure, dont on peut penser qu'elle en restera au stade des déclarations verbales dont le président iranien est coutumier, ne se traduira pas dans les faits. D'autant que sa stratégie et ses menaces concernent moins Israël que les pays arabes modérés. Et c'est là, pour Damas, une occasion de rétablir sa position en faisant mine d'être tenté par un jusqu'auboutisme iranien avant de revenir, moyennant diverses concessions, à une attitude plus raisonnable comme il le fit en s'abstenant lors du vote à propos de la résolution du sommet de Riyad.