La vague bleue ne déferla que modérément sur l'Assemblée nationale. Nicolas Sarkozy, qui s'attendait à une majorité stalinienne dut se contenter d'une majorité à l'arithmétique plus démocratique. Qui aurait cru que le numéro deux du gouvernement Fillon, le joker chiraquien de Nicolas Sarkozy puisse mordre la poussière électorale avec une telle violence dans un fief supposé facile à conquérir ? Qui aurait parié qu'un homme qui conserve une influence d'appareil d'une grande efficacité, une visibilité nationale et un prestige ministériel puisse se casser les dents sur un scrutin législatif au cœur d'une vague bleue annoncée ? Et pourtant, c'est ce qui arriva à Alain Juppé, ministre d'Etat chargé de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durable au soir de ce second tour des législatives françaises. C'était la première mauvaise nouvelle de la soirée, la seconde étant que le tsunami bleu annoncé à grande fanfare n'était pas au rendez-vous. La vague bleue ne déferla que modérément sur l'Assemblée nationale. Nicolas Sarkozy, qui s'attendait à une majorité stalinienne dut se contenter d'une majorité à l'arithmétique plus démocratique. Les raisons invoquées indiquent que le débat hasardeux sur la TVA sociale et la polémique sur la concentration excessive des pouvoirs de l'entre-deux tours ont eu un effet salvateur et revigorant pour la gauche. Alain Juppé est la victime expiatoire et symbolique de cet échec relatif. Même si le mot «échec» est impropre à l'utilisation puisque Nicolas Sarkozy parvient tout de même à accomplir deux exploits : reconduire une majorité sortante et obtenir une majorité absolue. Mais cela n'enlève rien à la gravité du moment qu'entraine la sortie d'Alain Juppé. La perte est d'autant plus retentissante pour la droite qu'il s'agit d'un poids lourd de l'architecture UMP, ancien Premier ministre, après avoir été ministre du Budget et des Finances, à qui l'ancien président Jacques Chirac attribuait le sobriquet admiratif du «meilleur d'entre nous». Après avoir vécu une carrière mouvementée faite d'ennuis judicaires dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris en 2004, d'exil volontaire vers le Canada pour se ressourcer, de va-et-vient politique réussi sur la plan municipal à Bordeaux en 2006, Alain Juppé s'apprêtait à relancer son destin politique dans le sillage de la vague bleue suscitée par le nouveau champion de la droite. N. Sarkozy avait réalisé un exploit en ralliant à lui l'ancien héritier naturel des chiraquiens. Pour bien mesurer la valeur de la prise, encore faut-il se souvenir que l'allégeance de Juppé fut le grand signal lancé aux fidèles de Jacques Chirac et de Dominique De Villepin de passer avec armes et bagages chez Nicolas Sarkozy. La négociation fut âpre et le prix à payer élevé : le poste de numéro deux dans le gouvernement à la tête d'un grand ministère de prestige : Ecologie, Développement et Aménagement durable. Dès la prise de ses fonctions, certain de devoir durer, Alain Juppé avait annoncé un chantier gigantesque en se proposant d'organiser «un Grenelle de l'environnement». Pour Nicolas Sarkozy, la chute d'Alain Juppé n'est pas un simple accident de parcours dont les effets se limitent à la perte d'une circonscription et d'un siège au Parlement. Au delà du fait qu'elle remet en cause une architecture gouvernementale patiemment tissée, un tel revers arrivé si vite, accompagné de la renaissance inattendue d'une gauche plus combative, a de fortes chances d'obliger le nouveau président de la République à remettre en cause sa stratégie d'ouverture et à revoir le dosage de son exécutif. Pour la gauche qui est, en train de sortir douloureusement la tête du goulot compresseur dans lequel l'ont plongé l'activisme débordant de Nicolas Sarkozy, les mésententes du couple Hollande-Ségolène et l'incapacité à formuler un projet politique alternatif. La chute d'un puissant symbole de la droite triomphante comme Alain Juppé redonne de l'espoir et laisse entrevoir de rapides revanches politiques. D'ailleurs la gauche socialiste et communiste commence déjà à tirer profit de la stratégie d'agressivité tous azimuts à son égard du Premier ministre François Fillon, redevenu pour l'occasion l'épouvantail idéal d'une droite décomplexée. Plus le Premier ministre l'exécute avec une violence inhabituelle, plus elle se remobilise et retrouve grâce aux yeux de l'opinion. Son surprenant score aux législatives laisse entendre que le temps d'usure peut arriver plus vite que prévu.