Pour Abdelali Benamour, fondateur d'Alternatives, la récupération par les milieux islamistes de la guerre au Liban participe d'une prise de position politicienne dans le sens le plus négatif du terme. ALM : Au Maroc, les évènements tragiques du Liban et de la Palestine ont été récupérés par les mouvances islamistes. Qu'en pensez-vous ? Abdelali Benamour : Il y a deux analyses que l'on peut faire de ce drame : une analyse primaire et une analyse de fond. L'analyse primaire consiste à dire que le Hezbollah a résisté face à Israël parce qu'il est mû par une forte idéologie islamiste. Il est donc évident que les mouvements du même type vont essayer de récupérer la chose à leur profit. C'est le cas du PJD et du mouvement Al Adl Wal Ihssane. Il s'agit de positions politiciennes dans le sens le plus négatif du terme. Par contre, si on veut aller au fond des choses, on s'aperçoit que ce n'est pas parce que c'est celle d'un mouvement islamiste que la milice chiite a pu s'imposer. Le Hezbollah s'est imposé, à mon sens, parce qu'il représente un mouvement de résistance dont le succès tient à des données historiques, géographiques et sociales propres au peuple libanais. La preuve de ce que je suis en train de dire, c'est que le Hamas, qui est un parti intégriste, n'a pas réussi la même chose. Alors inversons la logique et supposons que le Hezbollah ne se prévalait pas de l'intégrisme qui est qualifié à tort ou à raison par l'opinion internationale de terroriste. Est-ce qu'Israël aurait attaqué le Liban comme il l'a fait dans un quasi-silence international? Est-ce que les puissances étrangères n'auraient pas réagi autrement ? Cessons de nous voiler la face dans le monde arabe ! Le Hezbollah et le Hamas sont des mouvements de résistance, mais ils causent d'énormes dégâts par leur idéologie intégriste. Donc oui, il y a de quoi être fier de la résistance libanaise et palestinienne. Mais, c'est dommage que ces mouvements prêtent le flanc à la critique qui les qualifie de terroristes. Nos mouvements intégristes n'ont pas à être fiers de ce qui se passe au Proche-Orient dans la mesure où le Liban a été presque entièrement détruit. Vive la résistance quelle qu'elle soit ! Mais "non" à l'intégrisme qui nous fait apparaître comme étant des peuples portés sur le terrorisme. Mon souhait est que le Hezbollah et le Hamas conservent le flambeau de la résistance, mais abandonnent l'idéologie extrémiste au profit d'une vision d'un Islam démocratique, ouvert et tolérant. Que pensez-vous des critiques formulées par les milieux islamistes envers le gouvernement marocain ? Soyons sérieux ! C'est de la critique facile. Il y a des éléments importants à soulever. Le premier est que cette critique vise l'ensemble des pays arabes. Si ces pays n'agissent pas et ne réagissent pas, c'est en raison des rapports de force objectifs que nous connaissons tous. Le deuxième élément, et c'est là la raison principale, est que les mouvements intégristes en question sont considérés à tort ou à raison par l'opinion internationale comme des mouvements terroristes, ce qui ne facilite pas la tâche aux Etats arabes qui voudraient les soutenir. Ils ont peur d'être qualifiés d'alliés du terrorisme international. Le grand problème est là : tant que ces mouvements, dont je reconnais l'importance, n'ont pas compris qu'il faut abandonner l'habit extrémiste qui les fait apparaître comme des mouvements terroristes, il sera difficile au monde arabe de réagir. L'idéal est que ces mouvements qui ont battu en brèche le mythe de l'invincibilité d'Israël soignent leur image de marque. Que pensez-vous de la réaction du gouvernement marocain ? La réaction marocaine a été prudente et équilibrée. En raison des rapports de force, on ne peut se permettre de prendre les positions qui risquent d'être embarrassantes. C'est l'habit terroriste, en fait, qui ne facilite pas les choses. Ne croyez-vous pas que la récupération des événements tragiques au Liban par le PJD s'insère dans une pré-campagne électorale ? Il est clair que la récupération du PJD de la guerre au Liban n'est autre que de la politique politicienne qui sert les intérêts de ce parti. Ce sont des considérations qui n'ont rien à voir avec le fond du problème. D'après vous, que faut-il faire pour éviter ce genre de dérapages ? Toute la société marocaine doit faire face à cette image du danger intégriste en développant un discours ouvert et tolérant. Alors, moi, je dis "oui" à l'ouverture de la voie à un discours tolérant et clair. Je dis "oui" à des mouvements musulmans démocratiques à l'instar des démocraties chrétiennes qui existent de par le monde et qui acceptent de se positionner dans le cadre d'une alternance démocratique et d'une séparation entre le religieux et le politique. Par contre, je dis "non" à des mouvements islamistes intégristes qui veulent instaurer un Etat islamiste de type totalitaire et sans réelle démocratie. C'est ce genre de discours qu'on doit développer au Maroc : convaincre l'opinion publique en mobilisant d'abord les acteurs politiques sans faux calculs et sans calculs politiciens, ce qui est encore malheureusement le cas chez nous.