Affichant son désaccord quant aux propos tenus par Noureddine Ayouch et son indignation de leur interprétation par «Attajdid», Abdelali Benamour, fondateur d'Alternatives, revient également sur les conditions pour que le PJD entre dans le gouvernement. ALM : Vous avez été parmi les premiers à vous élever contre les propos tenus par Noureddine Ayouch, faisant les yeux doux au PJD. Quels sont les problèmes que pose cette intervention à votre avis ? Abdelali Benamour : Les propos de M. Ayouch posent deux problèmes à mon avis, de fond comme de forme. Le problème de fond est que, dans son interview, M. Ayouch a jeté plus d'une fleur au PJD, disant que le parti est sérieux, représentatif, organisé et que, partant, il faudrait qu'il fasse son entrée au gouvernement. Mais c'est compter sans l'idéologie de ce parti. En tant que démocrate, je pense que toute organisation a le droit d'exister, mais pour que les portes du gouvernement lui soient ouvertes, il faut que celle-ci accepte les règles de la démocratie, dans le sens universel du mot. Proclamant la démocratie, le PJD obéit à une orientation générale fondamentalement anti-démocratique. Quand le PJD parle de l'Islam, il confond volontairement entre les valeurs et les normes de notre religion. Avec le risque, si jamais le parti prend le pouvoir, de voir la Constitution touchée par cette confusion. Accepter un tel état de faits revient à accepter de ne plus être dans un Etat démocratique, mais dans un Etat islamique. Quant au problème de forme que pose cette sortie, il concerne l'interprétation faite pas Attajdid de certains propos de Ayouch. Dans le titre même de cette interview, on a cherché à faire dire au concerné que laïcité signifie athéisme qui veut dire bêtise. Or, à aucun moment l'intéressé ne l'a dit. Pensez-vous que M. Ayouch, qui du reste n'est pas un enfant de chœur, a été manipulé à ce point? On peut parler de manipulation, oui. Pour la simple raison que la laïcité n'a jamais été contre la religion. Au contraire, l'un des fondements de la laïcité est le respect des croyances et des convictions de tout un chacun. D'où, d'ailleurs, la séparation qui existe entre les valeurs et les normes. Affirmer le contraire, c'est insulter tout une société. N'est-ce pas nous Marocains qui affirmons que la religion est un pacte entre le fidèle et Dieu et qu'il n'y a pas de contrainte dans la religion. Quel est le danger que représentent les confusions entretenues par le PJD ? Par l'usage même qu'ils font de certains concepts comme la «Ilmania » (laïcité), dans le sens où celle-ci ne reconnaît que la science contre la spiritualité, par l'interprétation qu'ils en font, celle-ci étant synonyme d'athéisme, les islamistes faussent le débat et induisent l'opinion publique en erreur. C'est pour cette raison que je préfère parler de «zamania», c'est-à-dire vivre son temps, avec ce qu'il a de spirituel et de temporel. A l'image de tous les Marocains, je suis musulman et je suis fier de mon référentiel. Des observateurs pensent que plus qu'une démarche individuelle, la sortie de M. Ayouch s'apparente à une tentative de rapprochement des islamistes à des fins personnelles. Partagez-vous ce point de vue ? Il est clair que derrière ces agissements, il existe un peu d'opportunisme, le PJD étant pressenti pour jouer un grand rôle dans la gestion de la chose publique après les élections de 2007. Certains, et je ne vise pas M. Ayouch, commencent d'ores et déjà à se positionner dans cette perspective en s'alignant sur les thèses de ce parti. Des marchés sont à prendre. Mais je ne mange pas de ce pain-là. Non pas que je sois contre le PJD, qui est représentatif et dispose d'une assise sociale, mais je suis contre son référentiel tel qu'il est affiché et exprimé. Le revirement de certains intellectuels, hommes politiques ou hommes d'affaires dans ce sens est malheureux. Les pouvoirs publics ont dans ce débat un grand rôle à jouer, d'abord pour sensibiliser les gens quant aux confusions précitées et entretenues pour flouer les gens. A quel moment le PJD peut donc intégrer le gouvernement d'après vous ? Le jour où le PJD acceptera la démocratie dans son sens universel, la séparation entre valeurs et normes et la monarchie en tant que garant de ce choix, il pourrait, sans le moindre problème, faire son entrée au gouvernement en tant parti musulman démocrate, à l'image du PJD turc et de tous les partis chrétiens démocrates qui existent dans le monde. Ce sera également le jour où il acceptera le jeu démocratique voulant que ces choix soient remis en cause si le courant moderniste prend le dessus. Pensez-vous qu'un dialogue est possible avec le PJD, le parti étant ce qu'il est idéologiquement ? Le dialogue est toujours important et en tenant ces propos, je veux créer un sas avec les islamistes du PJD. Mais il faut que le dialogue soit basé sur la clarification et sur des principes universels sur lesquels il faut se mettre d'accord. Au sein du PJD, une partie considérable veut et peut évoluer dans ce sens. Le mieux à faire est d'accompagner cette partie-là à franchir le pas et l'aider à aller de l'avant.