Comment reconnaître l'ennemi et négocier avec lui sans qu'il prenne le risque réel de perdre l'estime dont il jouit auprès des masses qui l'ont porté au pouvoir et d'être taxé comme le Fatah de bande de traîtres pour s'être engagé dans le processus de paix ? La victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes du jeudi 26 janvier a entraîné une vague de satisfaction et de fierté chez les mouvements islamistes dans le monde. Comme s'ils s'étaient tous donné le mot, ils se sont appuyés sur cette victoire pour prédire non sans euphorie un raz-de-marée vert sur le monde arabo-musulman. Les islamistes du PJD ont réservé à l'événement plusieurs articles dont un éditorial intitulé “Les éradicateurs devant la leçon palestinienne“ publié dans Attajdid du week-end dernier. L'auteur qualifie l'avènement du Hamas au pouvoir de “grand jour dans l'histoire de la démocratie arabe“ tout en se moquant des “néolibéraux“. Nadia Yassine, la fille du leader de Al Adl Wal Ihssane, croit à son tour voir dans ce qui s'est passé en Palestine une “preuve que les islamistes ont la cote“. Mais le PJD et l'association de Abdesslam Yassine ont évité soigneusement de commenter les difficultés du Hamas nées de la décision immédiate des puissances occidentales de conditionner dorénavant l'aide financière à l'Autorité palestinienne au changement de la charte du mouvement dans le sens de la reconnaissance de l'État d'Israël. C'est là évidemment le fond du problème, un sujet qui fâche. Si le Hamas a réalisé une performance électorale grâce à sa popularité dans les territoires autonomes, il n'en reste pas moins que celle-ci est très fragile. Comment reconnaître l'ennemi et négocier avec lui sans qu'il prenne le risque réel de perdre l'estime dont il jouit auprès des masses qui l'ont porté au pouvoir et d'être taxé comme le Fatah de bande de traîtres pour s'être engagé dans le processus de paix ? Les électeurs ont voté pour les candidats du Hamas sachant que l'organisation allait poursuivre la résistance supposée avoir poussé les Israéliens à sortir de Gaza. Il est clair que les bombes humaines ne peuvent tenir lieu de programme politique. Le peuple palestinien a besoin par contre d'une équipe capable de négocier avec les Israéliens en vue de construire, sur des bases démocratiques, un État indépendant et de lui assurer, en attendant, les conditions d'une vie digne. Mais cela ne semble point intéresser les “frères“ du Hamas dans le monde arabo-musulman. Dans la littérature des islamistes marocains par exemple, c'est le populisme et la démagogie habituelles qui dominent. En vérité, on ne semble glorifier l'exploit arithmétique du Hamas que parce qu'il donne au PJD et Al Adl Wal Ihssane des raisons de croire en leur propre heure de gloie au Maroc. Pour les uns, les amis de Saâd Eddine Al Othmani, l'espoir de siéger au gouvernement à l'issue des législatives de 2007 et pour Abdesslam Yassine et ses ouailles la concrétisation de la chimérique "Qawma" (le soulèvement populaire). Cela étant dit, il convient de rappeler que jusqu'ici aucune révolution islamiste y compris l'iranienne de Khomeïni n'a réussi à apporter bien-être et épanouissement. Seule exception, l'expérience turque. Mais celle-là puise sa force dans la laïcité et l'ingéniosité politique de ses promoteurs qui ont su consolider l'ouverture de leur pays.