A la surprise générale, le Hamas a gagné les élections législatives palestinienns du mercredi 25 janvier 2006. Quel lecture faire de cette victoire ? Analyse de Claude Moniquet président de l'ESISC. Paradoxalement, la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes est peut être une bonne nouvelle. Pendant trop longtemps, en effet, la nécessaire solution politique du conflit israélo-palestinien (puisque chacun admet qu'il ne peut y avoir de solution militaire), qui passe – qu'on le veuille ou non, par l'existence d'un État palestinien et par la coexistence pacifique entre les deux entités concernées, a été bloquée par le manque de partenaire crédible du côté palestinien. Or le mythe de la «solution négociée» avait la vie dure et la communauté internationale s'accrochait à la «Feuille de Route» soutenue par le Quartet (Nations unies, Etats-Unis, Union européenne et Russie) alors même qu'il était évident qu'elle se réduisait à un simple morceau de papier, à partir du moment où la partie palestinienne n'avait pas les moyens (ou la volonté?) de l'appliquer. Rappelons-le, la «Phase 1» de ce plan de paix prévoyait en effet la fin du terrorisme, et, sans ambiguïté aucune, établissait que «Les Palestiniens déclarent clairement la cessation des actes de violence et de terrorisme et font des efforts visibles sur le terrain en vue d'entraver et d'empêcher l'action des individus et des groupes qui préparent et lancent de violentes attaques contre des Israéliens en quelque lieu que ce soit et en vue de les arrêter». Par ailleurs, il était explicitement prévu que «Les services de sécurité reconstitués et recentrés de l'Autorité palestinienne entreprennent des opérations durables, ponctuelles et efficaces en vue de s'attaquer à tous ceux qui sont impliqués dans le terrorisme et de démanteler l'infrastructure et les moyens des terroristes». Comme chacun le sait, cette première phase n'a jamais connu de réel début d'application, interdisant de fait tout progrès du processus négocié. Non seulement les services de sécurité palestiniens ont manqué à leurs obligations, mais, de plus, certains de leurs membres ont, à différentes reprises, apporté leur soutien aux terroristes qui continuaient à frapper les cibles juives. Le Hamas, qui défiait ouvertement l'Autorité palestinienne, a été le principal écueil auquel se sont heurtés les dirigeants palestiniens les rares fois où ils ont manifesté le début d'une volonté d'agir. Tant et si bien que la principale avancée qu'ait connue le processus de paix est venue d'une action unilatérale israélienne : le retrait de la Bande de Gaza, salué par la communauté internationale (qui, dans un premier temps, avait mis en cause cette démarche non négociée) et qui a valu à Ariel Sharon le privilège, une première pour un dirigeant de l'État hébreu, d'être applaudi par l'Assemblée générale de l'ONU. Ce retrait, toutefois, n'a pas été suivi des effets escomptés: non seulement le terrorisme n'a pas disparu, mais, de plus, les territoires «libérés » ont été utilisés pour bombarder des localités israéliennes. Les observateurs ont toutefois pu constater que la riposte israélienne à ces attaques était des plus mesurées, Jérusalem voulant manifestement donner toutes ses chances à cet embryon de solution. Au moment où nous écrivons ces lignes, les résultats officiels du scrutin ne sont pas encore connus, mais il est manifeste que le Hamas sort victorieux des élections et qu'il contrôlera, probablement, la majorité des sièges de l'Assemblée. Par la voix de l'un de ses hauts dirigeants, le Fatah a déjà fait savoir qu'il ne participerait pas à un gouvernement dirigé par les islamistes. On se trouvera donc dans un cas de figure particulièrement inquiétant : une Autorité palestinienne dirigée et contrôlée par des extrémistes qui continuent à faire de la destruction de l'État d'Israël l'un des axes de leur politique. Mais il y a un corollaire à cette évolution négative, et celui-ci pourrait, à moyen terme, s'avérer positif: la communauté internationale ne pourra plus apporter son soutien à une AP vouant Israël à la destruction. Les Etats-Unis ont déjà fait savoir qu'ils refuseraient tout contact avec le futur gouvernement si le Hamas ne renonçait pas à son credo négationniste et destructeur et au terrorisme. Du côté de l'Union européenne, la situation est moins nette. Certes, à Bruxelles, des voix se font déjà entendre pour dire que l'Union continuera à collaborer avec l'AP quel que soit son gouvernement : «Dans le cas où le Hamas gagnerait les élection ou ferait son entrée au gouvernement, la chose la plus importante est que nous voulons travailler avec tout gouvernement quel qu'il soit, à la condition que ce gouvernement soit prêt à travailler en faveur de la paix et de manière pacifique», a déclaré Madame Benita Ferrero-Waldner, Commissaire européenne aux Relations extérieures. Mais le Premier ministre français,Monsieur Dominique de Villepin, soulignait pour sa part : «Nous sommes devant une situation qui m'amène à marquer mon inquiétude». Quant à M. Kofi Annan, Secrétaire général de l'ONU, tout en «se réjouissant de travailler avec un gouvernement palestinien élu», il a estimé pour sa part que : «Tout groupe souhaitant participer au processus démocratique doit en définitive déposer les armes, parce que porter des armes et participer (simultanément) à un processus démocratique et siéger au Parlement est fondamentalement contradictoire, et je suis convaincu qu'ils (le Hamas) pensent aussi cela». Rien n'est moins certain. Monchir al-Masri, un important dirigeant de l'organisation islamiste affirmait pour sa part : «Des négociations avec Israël ne sont pas à notre ordre du jour, la reconnaissance d'Israël ne l'est pas non plus ». Et d'ajouter: «Cette victoire prouve que la voie empruntée par le Hamas (la lutte armée) est la bonne voie. Nous ne tromperons pas le peuple». Non seulement le Hamas ne reconnaîtra pas Israël, mais il ne semble donc pas décidé à renoncer au terrorisme. Certains analystes voient dans ce séisme politique un facteur de blocage voire d'aggravation de la crise. Nous ne partageons pas cette opinion. Il est clair, d'abord, que la victoire du Hamas -acquise dans des élections qui semblent s'être déroulées de manière correcte- s'explique en grande partie par la corruption et l'incurie dont le Fatah a fait preuve depuis qu'il présidait aux destinées de l'AP. Ensuite, au-delà des slogans, il est évident que le Hamas, s'il veut durer et être accepté, devra, rapidement, se montrer plus «raisonnable». On soulignera au passage que ce résultat est un échec pour la diplomatie américaine qui, misant tout sur la démocratisation du monde arabe, ne semble pas comprendre que, dans les conditions actuelles, dans de nombreux États, des élections absolument libres signifieraient une victoire des islamistes et pas des «démocrates laïcs» que l'on peine encore à trouver dans cette partie du monde. Mais surtout, il y a là une formidable opportunité politique pour Israël et pour la paix. Tout semble indiquer, en effet, que les élections israéliennes de mars prochain seront marquées par une victoire de Kadima, le parti créé par Ariel Sharon et désormais emmené par Ehud Olmert, le concepteur du plan de retrait de Gaza, une formation qui a fait de la résolution du conflit israélo-palestinien son principal objectif. Le refus du Hamas de reconnaître Israël et de renoncer à la violence ne laisse désormais à l'État hébreu qu'une seule option: continuer dans la voie du règlement unilatéral en fixant lui-même les limites entre les deux États. Et cette option devrait, désormais, rencontrer l'assentiment de la communauté internationale, ne serait-ce que comme un pis-aller. Ceci implique que, dans les mois qui suivront les élections du mois de mars, l'évacuation d'une part importante des colonies de peuplement en Cisjordanie devra être menée à bien. Certes, cette solution ne sera pas parfaite : elle exigera de la part d'Israël (et certainement de la minorité de sa population qui s'accroche à la colonisation), de grands sacrifices. Les Palestiniens, quant à eux, n'obtiendront certainement pas tout ce qu'ils auraient pu avoir s'ils avaient joué sincèrement la carte politique, et des questions importantes - le statut de Jérusalem, la question des réfugiés…- resteront en suspens. Mais Jérusalem aura clairement démontré sa volonté d'aller de l'avant et de vivre en paix avec le futur État palestinien et regagnera ainsi la sympathie d'une partie importante de la communauté internationale tout en assurant sa sécurité. Le reste dépendra de la volonté réelle des Palestiniens. Une fois de plus, cela étant, le principal obstacle à cette solution, qui offrirait l'opportunité d'un commencement de sortie de crise, pourrait venir, précisément, de la partie palestinienne : si la violence continue, si le Hamas persiste dans sa négation du fait israélien, le pire serait à craindre. • Par Claude Moniquet Président de l'ESISC (European Strategic Intelligence and Security Center)