La troupe "Tensift" a présenté vendredi soir à Rabat une version aux couleurs hautement locales de "L'Ile des esclaves", pièce du célèbre dramaturge français Marivaux. Un marivaudage à la marocaine, qui traite avec humour du sujet de la lutte pour le pouvoir. Une belle métaphore théâtrale de la comédie politique qui se joue dans notre pays. Le choix du marivaudage, style burlesque et néanmoins décapant, s'est révélé une arme efficace pour démonter les ressorts de la surenchère politicienne qui atteint des sommets chez nous. Le choix d'un texte au titre très révélateur comme « L'Ile des esclaves » (Attaslim lil assiad, en dialecte marocain) est tout aussi efficace qu'il s'agit d'épingler un modus operandi réduit à la stricte chasse aux maroquins. Alors que les prochaines échéances électorales se profilent à l'horizon, la troupe « Tensift » (Marrakech) entame, à sa manière, une campagne qui résonne comme un rappel à l'ordre : le pouvoir n'est pas une fin en soi, l'objectif étant avant et après tout le service du citoyen. C'est le message qui se dégage du spectacle « Attaslim lil assiad», présenté vendredi soir par la troupe « Tensift » au Théâtre national Mohammed V (Rabat). Le texte, réécrit par Abdellatif Ferdaouss, d'après une traduction d'Ali Ouakili, n'est ici qu'un prétexte pour s'attaquer à un sujet de grande préoccupation. « Par ce spectacle, nous voulons dénoncer le changement de positions qui sévit dans le champ politique national », nous explique Hassan Hammouch, directeur de la troupe « Tensift ». Pour la petite histoire, un bateau échoue sur un îlot situé quelque part dans le monde. Maîtres et esclaves se retrouvent face-à-face, et par un renversement de rôles, ce sont les esclaves qui deviennent les maîtres. « Lemfadel » (maître), interprété par Abdellah Didane, s'efface au profit de « Merzouk » (esclave), campé par Mohamed El Ouarradi. Il en va ainsi du côté « femmes » : préposée au service de sa maîtresse (Najat El Ouafi), la bonne (Amal Al Atrach) se trouve dans la peau de maîtresse. Un jeu de rôles à donner le vertige, comme l'a si bien montré le personnage de « Lemfadel » (A. Didane) qui, après une période de règne, est ravalé, mine de rien, au rang de subalterne. Moralité : le pouvoir est éphémère. La fin du spectacle nous illustre parfaitement cette vérité, quand tous les personnages jettent leurs habits, et leurs masques trompeurs, pour se découvrir dans toute la nudité de leur vérité. Le traitement scénique de ce sujet s'est fait sur le mode du comique, un registre dont la troupe « Tensift » a fait un choix depuis sa création (début 2000), ou plus particulièrement son remaniement intervenu en 2003 après le départ des comédiens Abdessamad Meftahelkhayr, Samia Akariou et Bouchra Ahrich. Un pari certes difficile, si difficile qu'il est question ici de faire rire sans blesser, mais que la troupe a bel et bien réussi. En témoignent, entre autres, « Keid rjal » (Grand prix du Festival national du théâtre professionnel, Meknès). « Attaslim lil assiad » vient ainsi confirmer l'opportunité de ce choix, en dépit des problèmes techniques qui ont malencontreusement déteint sur le déroulement de sa représentation : la table de lumières du Théâtre national Mohammed V était ce jour-là en panne. Basé sur le jeu de lumières, préparé par le jeune scénographe Youssef Larcoubi, le spectacle s'est déroulé dans de mauvaises conditions. La patience des comédiens, et du staff technique, a permis de sauver la face. Et c'est tant mieux…