Un hôpital géré par des pilotes, sortis tout droit de l'imagination prospective de Dr Souad Jamai et qui imposent des mesures draconiennes aux médecins. Entre discipline et rigueur, le jeune chirurgien, Yélif, personnage principal du nouveau roman «Le dernier serment du messager» de l'auteure, se retrouve dans l'obligation de s'y plier. Et ce n'est pas tout ! Il est tenu de consommer, dans cette structure, un produit censé lui permettre, entre autres, de respecter ces mesures. Mais, il n'a pas de récepteurs pour cette substance à l'instar d'un autre personnage féminin qu'il rencontre par la suite. De tels procédés incitent le lecteur à s'interroger sur l'existence réelle de ces hôpitaux. Au nom du libre arbitre et de la médecine humaine Pour y répondre, l'écrivaine, également cardiologue exerçant à Rabat, précise que «dans de nombreux pays, des structures hospitalières sont dirigées par des directeurs financiers, imposant aux médecins un rendement optimal». Ceci, comme elle l'explicite, suppose que le médecin ne peut plus agir librement puisqu'il est tenu de rendre des comptes pour tout acte médical, alors qu'il ne devrait être guidé que par un état clinique donné nécessitant un diagnostic précis et un résultat thérapeutique. Dans son roman, Yélif est un jeune chirurgien exerçant dans un hôpital où les liens sociaux sont vus d'un mauvais œil, où tout est régulé pour ne rien laisser au hasard. «Yélif se bat pour garder son libre arbitre et maintenir une médecine humaine, pour le bien-être de ses patients», détaille la romancière. Pour elle, il est facile d'imaginer, dans un futur proche, que toutes les structures médicales deviennent la propriété de grands groupes financiers ou pharmaceutiques et manipuleraient les décisions médicales par le biais de l'intelligence artificielle, reléguant le médecin à l'arrière-plan. «Ceci pourrait induire de nouveaux schémas thérapeutiques qui ne prendraient plus compte des valeurs humaines», enchaîne-t-elle. Outre ces hôpitaux, l'auteure attire, à travers une enquête menée, suite à des cas reçus dans l'hôpital, par le protagoniste avec la belle Azel qu'il aime, l'attention du lecteur, sur des pratiques malsaines des assurances dans l'avenir. A la découverte des pratiques des assurances A ce propos, Dr Jamai révèle: «J'ai imaginé dans ce monde futur que les cliniques appartenant aux assurances seraient finalement victimes de la sélection drastique qu'elles auraient imposée à leurs adhérents. Une sélection qui serait basée sur une étude du génome et qui aurait pour conséquence de réduire l'expertise des chirurgiens puisqu'ils seraient amenés, forcément, à opérer plus rarement». D'ailleurs, la lecture du roman laisse voir le cas d'une jeune patiente dont la mère préfère qu'elle soit opérée dans un hôpital public réputé pour son expérience. Quant au monde du futur, conçu par Dr Jamai, seules les personnes en excellente santé sont assurées. «Yélif va découvrir un phénomène étrange apparu à cause de cette sélection de patients», enchaîne-t-elle. Concernant cette sélection à outrance, la praticienne estime que celle-ci peut avoir des effets pervers inimaginables. Pour étudier les effets néfastes possibles de certaines technologies, il faut, selon la cardiologue, se projeter dans l'avenir et essayer de prévoir leur effet délétère si elles venaient à être utilisées de façon incontrôlée. «S'éloigner dans le temps et regarder en arrière permet de voir les évènements dans leur globalité, de s'en détacher émotionnellement pour les analyser de façon plus critique. L'anticipation permet justement cette vision future qui pourrait nous mettre en garde et stopper à temps, ou, du moins, mettre des garde-fous là où ils seraient nécessaires», poursuit-elle. Au-delà de ces rouages, le lecteur découvre également les qualités de l'auteure en tant que poétesse qui fait dans le lyrisme. Pour elle, la poésie permet l'expression d'une émotion intense, un registre qui convient bien à la description du sentiment amoureux. Dans «Le serment du dernier messager», en allusion également au serment d'Hippocrate, l'auteure conçoit des poèmes lyriques à travers le personnage du Dr Ali, ami de Yélif, qui retrouve dans ses vieux journaux un poème écrit il y a longtemps pour la femme qu'il a aimée. Pour elle, de la même façon qu'un poème peut restituer une émotion oubliée, une musique peut aussi refaire ressurgir des souvenirs enfouis, une exaltation de l'âme impossible à décrire par des mots mais qui réapparaît presque intacte à l'écoute d'une mélodie. «C'est pour cette raison que Ali a noté, à chaque début de chapitre de son journal, un lien musical. Si un jour sa mémoire devient défaillante, il pourra reconstituer correctement le souvenir d'un évènement ancien grâce à l'écoute d'une musique associée à cet événement», avance l'écrivaine dont l'œuvre met également en lumière les souffrances des sportifs de par la consommation de substances pour améliorer leur performance. Cela étant, le livre finit sur une note imprévisible. Un dénouement inattendu La fin de l'œuvre est vraiment surprenante. Dans ce sens, la romancière indique que son livre est «une dystopie, certes, mais très rapidement le dénouement de l'intrigue permet au héros d'entrevoir différents chemins se profiler». «Si cette dystopie évolue vers un dénouement différent de celui prévu au départ, cela doit être en rapport avec ma nature optimiste...», confie-t-elle. A ce propos, elle rappelle que dans la vie d'un individu, il y a toujours une multitude de choix possibles. «Mais pour les entrevoir il est important d'avoir l'esprit en éveil et de garder son libre arbitre. La volonté de contribuer à changer le monde est inhérente à chaque individu, le problème est que ces volontés se dispersent rapidement lorsque d'autres objectifs apparaissent et nous éloignent de nos convictions de départ», tempère l'auteure qui a un autre roman en cours d'écriture. Par l'occasion, elle a écrit, comme elle l'annonce, de nombreuses nouvelles qui n'ont pas encore été publiées. «Je suis en cours de réalisation d'une bande dessinée et j'ai actuellement deux ébauches de romans. Mais j'attends de voir quels sont les personnages qui m'inciteront le plus à leur donner vie... C'est cela aussi l'écriture, ne rien décider à l'avance et laisser les personnages nous conduire!», s'exprime-t-elle.