Le fait divers s'installe à la «Une», viols, incestes, meurtres, relèguent aux pages intérieures la politique, les informations qui concernent la vie de milliers de citoyens. Cette ligne éditoriale est incompatible avec un journalisme responsable qui se veut par ailleurs moralisant, critique. J'ai horreur de lire les quotidiens nationaux de bon matin, et encore plus le soir, ce qui réduit ma «fenêtre de lecture». Ce n'est pas la qualité qui est en question, m'ayant fait une raison à ce sujet. Ce sont les faits divers étalés à la «Une». Prenons le mercredi 1er juin. C'est le début du mois, la chaleur étouffante annonce un été torride et que nous propose l'actualité ? Un drame à El Jadida, une femme perturbée, dans un accès de démence défenestre ses deux enfants, morts sur le coup. Une tragédie indescriptible. Certains journaux, ayant une culture de journalisme sportif, ils adorent la photo, en abusent souvent. Dans ce cas précis, ils sont tombés dans l'abject. Ils ont publié une photo, heureuse, de la mère et des deux petits anges. C'est non seulement indécent, immoral, c'est surtout illégal. Le rédacteur en chef de ce canard ne le sait peut-être pas, mais le directeur de la publication le sait. C'est d'ailleurs l'un des points qu'il faut que les parlementaires clarifient dans la nouvelle mouture du code de la presse. Ce journal ne s'est pas limité à la publication d'une photo, il a même présenté une thèse, la mère, paraît-il, voulait aller au paradis. Il faut une proximité certaine avec la malheureuse pour aboutir à cette explication ou à une autre, quelques heures après le drame. L'infanticide étant assurément incapable de s'expliquer. Dans la même «Une», il y a une autre photo, montrant un médecin légiste en train de ramasser des morceaux de chair humaine. Le corps d'une jeune fille, découpé en morceaux, a été trouvé dans une décharge publique. Il y a quelques années, ce genre de journalisme n'était pratiqué que par «Al Miaad Syassi» et autres titres de la presse dite de caniveau. Aujourd'hui, le maître-mot c'est vendre, et effectivement le fait divers, balancé dans son horreur nue est vendeur. J'ai été un vrai militant pour une presse arabophone indépendante, ayant les moyens de la qualité. Cette dérive m'incite à me poser des questions que je partagerai avec vous dès que j'aurai des pistes de réponse. Aujourd'hui, je remarque deux choses: • Le fait divers s'installe à la «Une», viols, incestes, meurtres, relèguent aux pages intérieures la politique, les informations qui concernent la vie de milliers de citoyens. Cette ligne éditoriale est incompatible avec un journalisme responsable qui se veut par ailleurs moralisant, critique. • La violence a augmenté au sein de la société, sinon en statistiques du moins dans sa forme. La jeune fille découpée est la dernière d'une série très longue à Casablanca, plus de 10 cas en 3 ans. Les gosses des quartiers populaires ne se battent plus avec des coups de tête, mais armés de couteaux ou de grosses pierres. Nous sommes réellement face à un phénomène que les sociologues devraient analyser. Le raccourci qui consisterait à dire que les deux phénomènes se nourrissent serait trop facile. Les journalistes devraient réfléchir à une ligne de conduite. Le raisonnement qui laisserait « le marché décider » a montré sa perversion. Aujourd'hui, c'est la mauvaise monnaie qui chasse la bonne. Le sensationnalisme l'emporte. Faits divers, rumeurs, analyses fumeuses, provocations politiques téléguidées, éditoriaux écrits sous l'effet de joints bien dosés, c'est le cocktail gagnant. La presse dans son ensemble y perd, en lectorat, mais surtout en impact. Quant à la fameuse mission «Rissala», il n'y a plus que des simples d'esprit pour y croire. Un conseil: si vous êtes obligés de lire cette presse, dite nationale, faites-le au bureau. Ce n'est pas un produit à laisser entre les mains de vos enfants en bas âge.