Quil sagisse de presse « indépendante » ou partisane, les professionnels sont tous daccord sur le fait que les annonces publicitaires sont dune grande importance pour le financement de leurs supports. Cependant, ils rejettent toute interférence de la part des annonceurs dans leurs lignes éditoriales. Entre théorie et pratique existe un grand fossé. Une large catégorie dannonceurs croient que passer une pub sur un support écrit est synonyme de faveur, oubliant quils y gagnent plus que les organes de presse eux-mêmes. Un autre élément majeur est ignoré par les publicitaires ; cest que pour quune annonce soit crédible, il faut que le média où elle passe soit crédible aussi. Or, un journal qui fait de la réclame dans ses papiers dinformation, comme le souhaiteraient les publicitaires, nest pas du tout crédible. La pression des annonceurs publicitaires varie selon que lorgane de presse soit partisan ou dit indépendant. Mais il est erroné de croire que les journaux partisans ne subissent pas de pressions de la part des annonceurs. Avant de parler de la relation quentretient un quotidien partisan, Libération en loccurrence, avec ses annonceurs, Salah Sbyea, le Rédacteur en chef de ce journal, tient à éclaircir les concepts. Selon lui, « la définition de la presse indépendante, en opposition à une presse partisane, est un peu simplificatrice pour ne pas dire simpliste ; cela renvoie à une histoire de la presse au Maroc de manière générale. On utilise le mot « partisane » pour parler dune presse qui est éditée par des groupes politiques, et « indépendante » pour la presse qui est éditée par des groupes économiques ou des initiatives individuelles. ». Pour affirmer ensuite que « Dans le jargon du métier, on dit quun journal se vend deux fois, se vend dans le sens positif du terme une première fois aux annonceurs et la deuxième fois aux lecteurs ». Sans oublier que le rapport entre les annonceurs et les journaux doit être encadré par léthique de chacun et quil y a séparation entre la rédaction dun journal et son service commercial. Cette séparation préserve la ligne éditoriale de tout rapport qui pourrait rapidement dégénérer. Selon lui, le fait dêtre affilié à un parti, lUSFP, natténue pas les pressions que peut subir la presse partisane. En effet, même affilié à un grand parti, le PPS, un journal doit subsister par ses propres moyens. Ainsi, Ahmed Zaki, Directeur dAl Bayane, assure que son journal ne dépend pas financièrement du parti et quil a ses propres ressources à travers les ventes, les insertions, les pubs et les abonnements. Pour un annonceur qui cherche des cibles aussi variées que possible dans la société, le fait quun journal comme Al Bayane vante les mérites de tel ou tel produit a une répercussion sur le lectorat et les membres de son parti. Mais cest une arme à double tranchant, du fait que les journaux partisans ont une assise sûre et fidèle, contrairement à la presse indépendante dont le profil des lecteurs peut varier selon les thèmes de chaque numéro. Du coup, et contrairement à ce quon peut croire, la presse partisane est aussi convoitée par les annonceurs que la presse indépendante. Par conséquent, elle subit des pressions de la part de « certains annonceurs ». La différence réside donc dans lapproche quont ces deux presses différentes, mais également dans la dominance des thèmes politiques chez la presse partisane et une tendance plutôt économique dans la presse indépendante. « Cest vrai quAl Bayane est axé sur linformation politique, mais nous avons des correspondants qui font des enquêtes dans le domaine des affaires et chaque fois que nous avons une information vérifiée, nous ne tenons pas compte du fait quelle concerne un annonceur ou pas. On ne cherche pas à donner des informations sensationnelles pour défrayer la chronique ni à nuire, mais nous informons dans un esprit critique ». Si des annonceurs retirent leurs pubs dun organe de presse partisan, limpact se ressent à peine du fait que le budget ne repose pas essentiellement sur la pub, contrairement à la presse indépendante, où la pub peut représenter jusquà 90 % du budget. À lorigine du problème, le manque dorganisation des métiers, en loccurrence les métiers de la publicité et de la communication. Les rapports ne sont pas clairs dans le sens où lon ne sait pas pourquoi un annonceur pour tel produit a choisi un organe de presse au lieu dun autre. On a vu des campagnes publicitaires dune grande importance se faire sur des supports qui ne constituent pas la niche à laquelle sadressait la campagne de pub. Et ce problème aboutit quelquefois à des conflits entre les annonceurs et les médias. Pour remédier à ce problème, des organes de presse indépendants, tel Assabah, ont procédé à une séparation totale entre le service rédactionnel et le service commercial. « Dans notre boîte, nous insistons pour quaucun journaliste ne soit un intermédiaire entre lorgane de presse et lannonceur. Ainsi, les journalistes nont aucun lien direct avec les annonceurs et se soucient peu de ce que fait le service commercial. Et nous avons un service commercial qui soccupe de cela et nous navons pas à nous en soucier afin déviter darriver à une situation où le journaliste sentirait le moindre engagement envers ces annonceurs », nous affirme Hassan El Attafi, rédacteur en chef dAssabah. Bien que chaque organe de presse souhaiterait vivre de la pub, cela ne doit aucunement se concrétiser aux dépens des règles de déontologie et de léthique du journalisme. H. El Attafi est intransigeant dans ce sens. Pour lui, lannonceur achète un espace publicitaire où il a le droit de faire la promotion de son produit en toute liberté, mais il ninterfère pas dans le contenu du journal. « Si un citoyen avait un problème avec un établissement public ou privé, et quil a recours à notre journal, je vois mal comment nous pouvons refuser de publier son cas, surtout sil a des éléments qui prouvent la véracité de ce quil avance, pour éviter de nuire à une entreprise. Notre rôle est dès lors de faire un travail dinvestigation pour éclaircir les faits et, sil savère que létablissement incriminé a effectivement lésé ce citoyen, il est de notre devoir dinformer le public ». Mais même si le rédacteur en chef dAssabah assure que les journalistes ne sont absolument pas inquiétés pour leurs articles, il faut avouer que certaines publications indépendantes ont cédé à la tentation de largent. Ainsi on trouve des journaux qui ne vivent que par la pub, pour ne vivre que pour elle, déviant de la mission première et sacrée dun journal. Les professionnels honnêtes qui ont tenu tête à des annonceurs se sont vus écartés sans raison logique de grandes campagnes publicitaires. Beaucoup de titres ont payé de leur vie leur intégrité et leur professionnalisme.