Seulement, depuis 10 ans, on fait en moyenne du 3,5% par an, largement insuffisant face à la machine à exclure qui elle continue à chasser les miséreux à une vitesse grand V. Le discours royal constitue une véritable rupture. L'on savait le Roi attentif aux plus démunis, le gouvernement attaché à plus d'équité, mais un vrai carcan, quasi-idéologique diluait l'action sociale. Celle-ci relevait plus du saupoudrage de l'aspirine, que d'un programme volontariste cohérent. Le carcan idéologique s'appelle la pensée unique. Selon celle-ci, l'unique moyen rationnel, efficient, de combattre la pauvreté est la croissance. Dès qu'on aura 7% de taux de croissance par an, les écarts se réduiront, le chômage baissera etc… Seulement, depuis 10 ans, on fait en moyenne du 3,5% par an, largement insuffisant face à la machine à exclure qui elle continue à chasser les miséreux à une vitesse grand V. Au-delà du fait que le lien entre croissance et développement n'est pas automatique, ce discours était politiquement subversif. Oui, subversif. D'autant plus qu'il était tenu par ceux-là même que les couches populaires chargeaient de leurs attentes à savoir la gauche marocaine. Subversif, ce discours l'était parce qu'il n'offrait aucune issue à court, ni à moyen terme, aux plus vulnérables, renforçant par là le désespoir. Subversif aussi parce qu'il mettait l'avenir de la société entre les mains de la classe la moins attachée à l'avenir du pays: la bourgeoisie compradore fossilisée, incapable de jouer collectivement. Subversif enfin parce qu'il plombait la construction démocratique. Celle-ci ne pouvait rallier les masses sans être liée à un minimum de dignité, voire à une esquisse de l'aspiration égalitariste qui fonde la civilisation humaine. Pour l'histoire, ce débat-là a été escamoté dans l'immédiat pré-alternance. A l'USFP, Habib Malki et l'équipe du CMC plaidaient pour un déficit budgétaire finançable, maîtrisable, mais laissant à l'Etat une marge de manœuvre plus grande. Fathallah Oualalou s'est montré d'une rigidité toute Bretton-woodsienne. Le débat a été escamoté, Youssoufi a tranché : les équilibres fondamentaux font partie du deal. Après, l'histoire retiendra que sans les privatisations, le déficit est abyssal et que, privatisations comprises, on a toujours glissé. Sans le réfléchir, en répondant à des situations compromises. Entre temps, la gauche a perdu son projet social et laissé le terrain aux populistes. Aujourd'hui, le Roi dit trois choses importantes, fondatrices, en totale rupture avec cette vision techniciste, cynique, apolitique. Premièrement que le drame social ne peut perdurer et que l'aspirine ne suffit plus. Secundo, que la solidarité s'exprime d'abord par la politique gouvernementale, donc par le budget et la fiscalité. Enfin, que les politiques doivent préparer des programmes chiffrés s'ils veulent réhabiliter la politique. Si ce n'est pas un procès de la politique post-programme d'ajustement structurel, cela y ressemble fort. Se pose le problème du financement. Cette année, on sait que les 20% d'Altadis boucleront la boucle, mais à moins de penser à privatiser le ministère des Finances, la manne des privatisations n'est plus.Nécessairement, dès 2006, il faudra faire des choix. L'expérience brésilienne est édifiante : donner de moins en moins aux riches et de plus en plus aux pauvres pour éviter de prendre aux premiers. Pendant dix ans, les gouvernements ont courtisé le patronat. Celui-ci, infantilisé, continue à réclamer la croissance. La surliquidité des banques et la faiblesse extrême de l'investissement national prouvent que ce patronat n'a rien compris et qu'il continue de prendre l'Etat pour une vache à lait. Le chef de l'Etat vient de le rappeler, aucune nation ne peut maintenir les plus faibles dans leur misère pour sauvegarder le privilège de rentiers. Ce choix clair, net, précis nous impose à tous une mobilisation sans faille. Les nihilistes deviendront les chantres de l'orthodoxie. C'est leur affaire. Les autres devront défendre la dignité du peuple. C'est l'unique moyen de consolider la démocratie.