Industriel, membre de la Commission des Finances au Parlement, El Eulj Lahbib estime que la hausse des prix à la pompe était inévitable. Mais, d'autres mesures sont nécessaires pour réduire le déficit. ALM : Quelle analyse faites-vous des hausses appliquées sur le prix du carburant à la pompe? El Eulj Lahbib : C'est une décision à laquelle on s'attendait depuis un certain temps. Dans tous les cas, mieux vaut appliquer des augmentations directes que de laisser croître un déficit qui va peser lourd sur l'avenir du pays. Seulement, nous pensons qu'il faille aller beaucoup plus loin qu'une simple augmentation. Pour que la facture pétrolière baisse, le Maroc doit passer à l'horaire continu. Dans le long terme, il nous faut promouvoir l'utilisation des énergies renouvelables tout en adoptant une politique énergétique adaptée. Le Marocain doit aussi être sensibilisé sur la question, en n'utilisant sa voiture personnelle que pour le minimum nécessaire. Pourquoi ne pas demander aux présidents des grandes communes d'être plus créatifs en matière de transport collectif ? Combien va économiser l'Etat avec cette décision? Ce dont on est pour le moins sûr, c'est que cette décision freinera le rythme de croissance de la facture pétrolière. S'agissant du déficit enregistré à ce niveau, les chiffres qui circulent sont loin de concorder. La semaine dernière, face aux parlementaires, le ministre des Finances faisait état de 5,2 milliards de dirhams. Son homologue des Affaires économiques parle de 6 milliards de dirhams dans le communiqué annonçant les hausses des prix à la pompe. Ces 20% d'écart entre les deux ministres montrent bien qu'il y a des difficultés en matière d'évaluation réelle des dépenses engagées. Nous aimerions bien savoir lequel des deux a raison. Sachant que la plus forte augmentation concerne le fuel industriel, n'y a-t-il pas lieu de craindre que l'inflation ne reparte à la hausse ? Je ne crois pas qu'il y aura des répercussions inflationnistes de grande ampleur. De toute façon, en suivant les tendances à l'international, on aura le même taux d'inflation que les autres pays. Ces augmentations sont dictées par les importantes hausses enregistrées depuis fin 2004 sur le marché international. Le baril du pétrole se négocie aujourd'hui au-dessus de 50 dollars. L'Etat ne pouvait continuellement ne pas suivre la tendance. Pour ma part, je préfère de loin l'augmentation des prix du carburant à la pompe qu'une dévaluation du dirham par exemple, laquelle entraînerait une inflation indirecte et un surcoût réel de la production industrielle du Maroc. Pour éviter tout phénomène inflationniste, il faut une politique énergétique adéquate.
Naturellement les tendances à la hausse du marché pétrolier faussent les prévisions de croissance du PIB pour 2005... En effet. Nous sommes dans une situation critique. La loi de Finances en cours avait été élaborée sur la base d'un baril à 35 dollars. Cette prévision était-elle trop optimiste ? Je ne sais pas. Je pense qu'on aurait dû adopter deux scénarios. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation imprévue où le consommateur est appelé à supporter une partie de la répercussion des hausses sur le marché international. Mais, le Marocain supportera-t-il cette hausse indéfiniment ? Je pense qu'il faut des mesures structurelles et profondes, comme la refonte totale de la politique énergétique du pays. Cette refonte de la politique énergétique doit-elle à votre avis passer par la suppression du mécanisme des prix ? Le mécanisme de soutien des prix devait disparaître depuis longtemps puisque, en 1995, une loi votée au Parlement prévoyait déjà l'alignement des prix sur le cours international. Cette loi n'a pas été appliquée ; depuis ces derniers temps, nous sommes en quelque sorte dans l'illégalité. Remarquons, entre parenthèses, qu'il y a beaucoup de textes adoptés et qui ne sont pas appliqués. Il faudrait se pencher aussi sur cette question.L'application de cette loi nous aurait en tout cas permis d'éviter le déficit enregistré actuellement. La refonte de la politique énergétique doit prendre en compte aussi l'utilisation des énergies alternatives, et la révision de notre politique de transport. En optant pour le transport en commun de qualité, et en introduisant le tramway électrique, on peut réduire énormément la facture énergétique. Certes, il s'agira d'initier des investissements coûteux, mais à long terme, les économies dégagées compenseront les efforts consentis. A court terme aussi, il y a toujours des effets positifs avec le lancement de grands chantiers, la résorption du chômage, entre autres. Le salut viendra peut –être de la découverte du pétrole... C'est fort possible. La recherche est un fondement de toute politique énergétique. Or, il est inexplicable que nous n'ayons pas, du moins jusqu'à ces dernières années, une politique de recherche pétrolière. Et quand celle-ci a été adoptée dernièrement, il n'y a pas eu de financements adéquats. Nous sommes très en retard dans le domaine de la recherche pétrolière, comme dans celle de l'utilisation des énergies renouvelables.