La 7ème édition du festival national du film d'Oujda a eu le mérite de montrer une nouvelle génération de cinéastes marocains. Narjiss Nejjar, Faouzi Bensaïdi et Hakim Belabbès, qui ont très agréablement surpris le public, n'ont d'yeux que pour les décors naturels dans les campagnes du Maroc. Ils s'appellent Narjiss Nejjar, Faouzi Bensaïdi et Hakim Belabbès. Ils ont présenté leur premier long-métrage au festival national du film d'Oujda. Ils ont tous choisi de tourner le dos aux villes pour filmer dans la campagne. Les espaces vastes et les décors naturels sont le dénominateur commun entre les trois films de ceux que l'on appelle déjà «la nouvelle génération». «Les fibres de l'âme», réalisé par Hakim Belabbès, rompt avec un récit linéaire. Des tranches de vie sont collées les unes aux autres. Elles ont en commun le mal de vivre des personnages et l'impossible communication avec les autres. Une vieille paysanne ponctue, à la manière du chœur dans les tragédies grecques, les événements du film. Lors de chaque apparition, elle commente avec des propos sentencieux, qui tiennent de la sagesse populaire, les histoires du film. Très moderne dans sa conception, le film de Hakim Belabbès n'en surprend pas moins par l'archaïsme du contenu de certaines séquences. Le réalisateur est né à Bajaâd, et cette ville occupe une place considérable dans son monde de représentations. Ce qui peut se confondre avec un désir d'exotisme chez d'autres, relève de la stricte autobiographie pour le réalisateur des «fibres de l'âme». À cet égard, une scène filmée avec beaucoup de réalisme marquera sans doute les spectateurs. Il s'agit de la circoncision d'un enfant vêtu d'une gandoura. Un adulte lui maîtrise les bras pour l'empêcher de bouger ses jambes ecartés. Le barbier intervient lentement, alors que l'enfant se débat pour échapper à l'ablation d'une partie de son corps. De corps, il est aussi question dans les «Yeux secs» de Narjiss Nejjar. La montagne, la verdure, les arbres et les coquelicots constituent le décor d'une histoire qui se prête très peu aux romances bucoliques. Une femme retourne à son village, après une absence de 20 ans dans une prison. Elle est accompagnée de son ancien geôlier. Elle ne regagne pas n'importe quel village, mais Tizi, une bourgade située dans le Moyen-Atlas et qui a pour caractéristique d'être uniquement habitée par des femmes. Toutes des prostituées ! Leur chef n'est autre que la fille de celle qui a passé de longues années en prison. Elle est dure, et pour réussir à attendrir ses yeux secs, le seul personnage masculin du film, remarquablement interprété par Khalid Benchagra, devra accepter de subir une mue. L'une des meilleures scènes des «Yeux secs», celles qui feront aussi le plus parler de ce film -surtout de la part de ceux qui en désapprouveront l'audace-, est un nu. Le personnage masculin se déguise en femme. Il se dévêt ensuite entièrement sur la neige comme pour se laver d'une souillure ou changer de peau. Les événements de «Mille mois» de Faouzi Bensaïdi ont également pour cadre un village dans l'Atlas. L'histoire commence sur une montagne, le soir, avec des habitants qui essaient de repérer le croissant lunaire la veille de Ramadan. Elle se termine aussi la nuit dans un chemin serpentant entre les montagnes. Le film présente une grande richesse de profils et une densité du point de vue de l'histoire des personnages qu'on y voit. Il y a l'histoire de l'enfant Mehdi qui avait la charge, hautement honorifique, de veiller sur la chaise de l'instituteur du village. Celle de son grand père qui vend les objets de la maison, et qui finira par acheminer vers un acheteur la chaise de l'instituteur. Celle d'un employé des télécoms qui coupait les transmissions en plein milieu des feuilletons égyptiens pour être le seul capable, dans le village, à en raconter la suite à une fille dont il s'est entiché. Il n'est pas le seul à s'en être amouraché dans le village. L'instituteur lui envoyait des poèmes languissants, et le nouveau caïd du village n'a pu résister à la tentation de la prendre pour épouse. La fête du mariage constitue, très probablement, l'un des plus grands moments cinématographiques de la jeune histoire du cinéma marocain. Il y a un peu de Fellini et d'Emir Kusturica dans cette scène qui se termine dans la débandade totale. L'instituteur reconnaît sa chaise et interrompt la fête pour que l'on retrouve le voleur ! Le marié part à la recherche de son frère envoyé en mission pour ramener des chikhates ! Il le trouve en compagnie de celles qu'il souhaitait avoir dans sa fête. Ils chantaient et buvaient gaillardement au milieu d'un champ, autour d'un feu de bois. Le caïd sort son fusil et canarde son frère ! L'employé des PTT efface, pour sa part, toute trace de la fête du mariage en incendiant le chapiteau et les chaises… Cette densité de «Mille mois» n'a pas pourtant trouvé grâce aux yeux du jury du festival national du film d'Oujda. Le public aura sans doute des yeux moins assujettis aux pressions.