L'histoire de la présence du Maroc à Cannes commence avec « Othello » d'Orson Welles en 1954. Un demi-siècle plus tard, le Maroc est représenté à la plus prestigieuse manifestation cinématographique dans le monde par deux longs-métrages. « Mille mois » de Faouzi Bensaïdi et « Les Yeux secs » de Narjiss Nejjar possèdent de solides atouts pour faire parler d'eux au 56e Festival de Cannes. C'est ce que nous raconte, avec brio, l'écrivain Abdellah Taia. 1952. Orson Welles est au festival de Cannes en compétition officielle avec son film «Othello», adapté de la célèbre pièce de théâtre de Shakespeare. Une fois de plus, le réalisateur de «Citizen Kane» accouche d'une pure merveille (en noir et blanc), un poème d'une beauté extraordinaire. Un chef-d'œuvre qui ne laisse pas insensible le jury : on lui décerne le Grand-Prix, l'ancêtre de la Palme d'Or. Ainsi, grâce au génie d'Orson Welles, le Maroc entre dans l'histoire du festival de Cannes. Beaucoup l'ont oublié : «Othello» concourrait cette année-là sous la bannière du Maroc. Orson Welles, qui jouait lui-même le rôle-titre, a tourné en grande partie, et avec peu de moyens, ce film au Maroc (plus exactement à Essaouira et à El-Jaddida pour quelques scènes). « Othello » sera pour toujours associé au Maroc : c'est comme ça qu'on peut interpréter la décision de Welles (soulagé de terminer enfin un tournage difficile, marathonien, maudit) de donner à son film la nationalité marocaine. Un geste de reconnaissance, de gratitude. On ne peut qu'être heureux et fier de cette rencontre, de ce cadeau venant de la part d'un des plus grands réalisateurs au monde. Cela nous pousse aussi à chercher une véritable présence du cinéma marocain au festival de Cannes. Le résultat est assez rapide à obtenir: deux films marocains seulement ont été sélectionnés jusqu'à présent pour cette grande rencontre du cinéma. L'un réalisé par Jilali Ferhati, « Poupées de roseau », et l'autre par Ahmed Maanouni. L'Egypte, bien sûr, arrive en tête du nombre de participations arabes. Youssef Chahine y a même reçu en 1997 le Prix de la 50ème édition pour « Le Destin » : ce prix, il faut le dire, récompensait plus la carrière de Chahine que ce film qui est loin d'être sa meilleure réalisation. Pour que le Maroc connaisse de nouveau un tel honneur, il fallait attendre 2003. En effet, deux longs-métrages marocains ont été pris pour cette édition (du 14 au 25 mai) : « Mille mois » de Faouzi Bensaïdi dans la section Un certain regard, et « Les Yeux secs » de Narjiss Nejjar pour La Quinzaine des réalisateurs. L'histoire du premier se passe en 1981. «Durant le mois de ramadan, la famille du petit Mehdi le protège d'un lourd secret.» Le second suivra le retour d'une femme à son village natal après 25 ans de prison. Ces deux nouvelles sélections sont donc un véritable événement pour le cinéma marocain et un couronnement pour la nouvelle génération de ses cinéastes. Le cinéma marocain s'est réveillé depuis quelques années d'un long sommeil et a su enfin intéresser le public, en lui proposant à voir principalement des comédies. Beaucoup se sont réjouis de cette rencontre attendue depuis longtemps, mais elle ne s'est pas toujours accompagnée d'œuvres artistiques d'un bon niveau (il y a eu quelques exceptions, comme les deux films de Daoud Oulad Syad). Pour trouver des films intéressants, il fallait jusqu'à présent se tourner vers les courts-métrages où Faouzi Bensaïdi (La Falaise, Le Mur, Trajet), Ismaël Ferhouki (L'exposé), Hassan Legzouli (Quand le soleil fait tomber les moineaux) et Noureddine Khamari ont excellé. Ou bien du côté des documentaires où on a pu voir quelques œuvres très fortes comme « Quand les hommes pleurent » de Yasmine Kassari et « Tanger, le rêve des brûleurs » de Leïla Kilani. La présence du Maroc au festival de Cannes, cette année, arrive donc au bon moment, elle confirme les espoirs placés en certains jeunes réalisateurs et annonce une année cinématographique très riche. En dehors de Faouzi Bensaïdi et de Narjiss Nejjar, d'autres cinéastes tournent en ce moment leur premier long-métrage, c'est le cas de Hassan Legzouli, de Nourddine Khamari et de Ismaël Ferhouki. Mohammed Abderrahman Tazi a, lui, fini le tournage de son nouveau film. Jilali Ferhati et Daoud Oulad Syad s'apprêtent à commencer chacun le leur. Et d'autres projets, dont on entend parler ici ou là, ne tarderont pas à se concrétiser. Le cinéphile marocain peut donc revoir « Othello » en se disant que la baraka d'Orson Welles est encore présente au Maroc. Il pourra bientôt vérifier l'influence de cet immense réalisateur sur nos jeunes cinéastes. Faouzi Bensaïdi, pour ne citer que lui, voue à l'auteur de « La Soif du mal » une admiration sans limite qu'on a pu déceler dans son premier court-métrage «La Falaise» (un véritable petit chef-d'œuvre). «Mille mois» et «Les Yeux secs» ne sont pas en compétition officielle du festival de Cannes cette année. Par contre, ils concourent tous les deux pour la Caméra d'Or qui récompense le meilleur premier film toutes sélections confondues. Le jury qui l'attribuera est présidé par l'Allemand Wim Wenders.