Face au front du refus mené par la France, le couple américano-britannique a retardé mardi la date du vote de sa résolution. Affaibli sur le plan diplomatique, Washington n'en reste pas moins déterminé à en découdre avec l'Irak. L'administration américaine n'en était mardi plus à une contradiction près. Depuis des semaines, elle ne cesse de répéter, comme l'ont encore fait dimanche le secrétaire d'Etat, Colin Powell et la conseillère pour la sécurité nationale, Condoleeza Rice, qu'elle n'a nullement besoin de l'aval de l'ONU pour attaquer l'Irak. Mais elle cherche en même temps à sauver les apparences en arrachant une certaine légalité internationale par le biais d'un vote favorable au Conseil de sécurité. Pour cela, Washington est cependant allé trop vite en fixant comme ultimatum le 17 mars, date-butoir à laquelle Bagdad devrait, selon lui, avoir prouvé qu'il a désarmé. Dans le cas contraire, ce serait la guerre. C'était sans compter sur l'opposition tenace des autres membres du Conseil. Le chef des inspections et directeur de la COCOVINU lui-même, Hans Blix, a annoncé lundi soir qu'il était disposé à avancer la remise de son nouveau rapport à la semaine prochaine -au lieu du 27 mars- afin de montrer l'état de coopération de l'Irak en matière de désarmement. Son précédent compte-rendu, fait le 7 mars, avait pour le moins contredit la position britannico-américaine. Cette dernière a reçu lundi un camouflet de taille de la part de la France, dont le président a annoncé que son pays pourrait utiliser son veto. «Quelles que soient les circonstances, la France votera non», a déclaré Jacques Chirac. Cette détermination française à éviter la guerre a été confortée par celle de la Russie qui avait indiqué dimanche qu'elle s'opposerait elle aussi au vote d'une seconde résolution. Elles sont soutenues par la Chine, dont le président Jiang Zemin a répété mardi qu'il ne voyait « pas la nécessité d'une nouvelle résolution», par l'Allemagne et la Syrie. Le veto d'un seul des cinq membres permanents du Conseil (Russie, France, Etats-Unis, Chine et Grande-Bretagne) suffit à empêcher l'adoption de toute résolution. Celle-ci ne peut être retenue que si elle recueille une majorité des voix, soit neuf sur les quinze qui composent le Conseil. Quatre pays ont à ce jour affirmé qu'ils se prononçaient pour le projet, ses trois initiateurs Washington, Londres et Madrid, et la Bulgarie. Six autres membres se sont déclarés indécis, notamment les trois pays africains actuellement les plus courtisés par les diplomates : l'Angola, le Cameroun et la Guinée. Le Pakistan a indiqué lundi qu'il comptait s'abstenir. Le Mexique et le Chili pressent toujours pour l'adoption d'un compromis. Mardi, les membres du Conseil ont par ailleurs décidé de tenir un nouveau débat public sur l'Irak, à la demande du Mouvement des Non-alignés. Ce débat a de facto entraîné le report du vote à au moins jeudi mais les Etats-Unis ont eux-mêmes laissé entendre qu'il pourrait être encore repoussé. Devant de telles réticences et son propre malaise interne, Londres s'est d'ailleurs efforcé de convaincre son allié de modifier le texte polémique, notamment en rallongeant le délai accordé à l'Irak. «Il n'est pas question de prolonger d'un mois l'ultimatum», lui a répondu le porte-parole de la Maison Blanche, Ari Fleischer. Le front de la guerre serait-il en train de se fissurer ? En Turquie, la question du déploiement militaire américain est également loin de faire l'unanimité au sein du Parlement. En attendant que son sort soit fixé, l'Irak a de son côté poursuivi mardi sa coopération avec les Nations unies en détruisant de nouveaux missiles Al Samoud II. Bagdad en avait déjà détruit six lundi, portant à 52 le nombre d'engins éliminés depuis le 1er mars, sur un arsenal estimé à 120 missiles. Le régime s'était toutefois vu le même jour rappelé à l'ordre par M. Blix au sujet d'un drone de portée «pouvant être illégale» et qui n'a pas été déclaré. «Découverte compromettante», ont aussitôt rétorqué des responsables américains, contraints de saisir la moindre occasion pour décrédibiliser les efforts irakiens, tout comme le rôle médiateur de l'ONU bafouée à plusieurs reprises depuis des mois. Impuissants à arrêter la machine de guerre américaine, qui dispose désormais de plus de 300.000 soldats, d'un demi-millier d'avions de guerre et de plusieurs dizaines de bâtiments dans le Golfe, les casques bleus de la Mission d'observation pour l'Irak et le Koweït (Monuik) ont quitté leur poste, le long de la frontière entre les deux pays. Une barrière longue de 200 km que les GI's ont récemment traversée.