Deux journalistes français, Christophe Deloire et Christophe Dubois ont publié, chez Albin Michel, un livre intitulé «Les islamistes sont déjà là» et qu'ils présentent comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Nous en publions les bonnes feuilles, chapitre par chapitre. L'opposant acharné devient ministre Élysée, 17 juin 2002 Le 17 juin 2002, le secrétaire général de l'Élysée annonce la composition du gouvernement Raffarin. Parmi les heureux élus, Philippe Bas prononce le nom de Hamlaoui Mekachera, nommé secrétaire d'État aux Anciens combattants. Président d'un mouvement de harkis, l'homme avait pris position en faveur du candidat Chirac lors de la campagne présidentielle. En avril, il a réclamé un «ministre musulman». Deux mois plus tard, le voilà pourvu d'un bonheur rare: obtenir que sa requête soit satisfaite à travers sa propre personne. Né en 1930 à Souk-Ahras (Algérie), officier de l'armée française, Mekachera est resté fidèle à la France pendant la guerre d'Algérie. Passé par le 60ème régiment d'infanterie de Lons-le-Saulnier, puis par le 137ème à La Roche-sur-Yon, il a ensuite dirigé des centres hospitaliers avant d'être délégué ministériel à l'intégration sous le gouvernement d'Alain Juppé. Officier de la Légion d'honneur et de l'ordre national du mérite, croix de la valeur militaire, titulaire de la médaille coloniale, il peut faire valoir des années au service de la France. Il n'empêche. Mekachera n'a pas toujours distingué ses ambitions politiques et culturelles. L'actuel ministre préfère oublier aujourd'hui ses faits d'armes à la Mosquée de Paris. Il est vrai, l'homme politique a fini par être déconfit par sa cible. Le récit de cette lutte à couteaux tirés figure dans les archives secrètes du ministère de l'Intérieur. Le 23 octobre 1998, l'ancien militaire, qui a des vues sur le rectorat de la Mosquée, réunit le Conseil représentatif des musulmans de France. Créée en janvier 1995, officialisée en présnece de Charles Pasqua, cette structure présidée à l'origine par l'inévitable Boubakeur s'est délitée peu à peu. Ayant contribué à porter l'association sur les fonts baptismaux, Mekachera décide de se servir de la coquille vide pour porter ses ambitions. Le 23 octobre 1998, à la tête d'une mouvance de musulmans proches du RPR, le militant des harkis adopte la stratégie du contournement. Lors d'un voyage de Dalil Boubakeur il se fait élire président du Conseil représentatif. Aux secrétariat général, Mekachera fait élire le directeur de la mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, éternel rival de Boubakeur. Et l'officier d'infanterie poursuit la manœuvre en déposant de nouveaux statuts. L'objet de l'association promeut «un Islam ouvert et fraternel, un Islam authentique ancré dans la civilisation des XXème et XXIème siècles» et «représente les musulmans de France». L'initiative va déclencher une tornade. Dans un communiqué, le recteur de la Mosquée de Paris «conteste toute légitimité à la réunion (…) à laquelle il n'a pas assisté». Il insiste : «L'esbroufe tend une fois de plus à créer la confusion et la division.» Parti à l'attaque, Mekachera persévère. Il demande rendez-vous à Jean-Jack Queyranne. L'élu du Rhône assure l'intérin de Jean-Pierre Chevènement, victime d'un accident d'anesthésie. Prompt à chercher des soutiens politiques, le futur secrétaire d'É tat aux Anciens combattants commet des erreurs. À l'Élysée et place Beauvau, il envoie la liste des prétendus membres de son conseil. Sauf qu'à certaines personnes il n'a rien demandé. C'est la cas de Leïla Babès, enseignante au département de sciences des religions à l'Institut catholique de Lille. L'intellectuelle se fend d'une lettre peu amène pour Mekachera : «Comment osez-vous vous servir ainsi de mon nom? Un tel procédé, usant de mensonge et de manipulation est malhonnête et indigne 1.»» Le 5 décembre 1998, Dalil Boubakeur lance sa contre-attaque. Contre l'avis de Makachera, il réunit l'assemblée générale du Conseil représentatif et se fait élire à la tête d'un «Conseil supérieur». La pagaille est à son comble. La haine transpire entre les hommes. Le recteur stigmatise les «attaques perfides de quelques groupuscules qui veulent s'ériger en directeurs de conscience.» Les rapports des services de renseignement sont peu amènes pour le futur secrétaire d'État. Après avoir fait état de son ambition de «gérer les affaires de l'Islam en France» en supplantant le recteur, les RG relatent son travail de terrain, la fréquence de ses apparitions lors de réunions publiques sur la religion musulmane. Les policiers sont sceptiques : «En réalité, en dépit de ses rodomontades, M. Mekachera n'a que peu de chances de voir son projet aboutir, en raison de l'hostilité manifestée à son égard par de nombreux responsables associatifs musulmans, lui reprochant ses très médiocres connaissances religieuses 2.» Une autre note accuse l'intéressé sur un ton autrement ironique : «Très opportuniste, M. Mekachera utilise, par ailleurs, des méthodes peu orthodoxes pour convaincre les indécis, ou attirer l'attention de personnalités influentes, pouvant lui apporter une aide dans sa quête de reconnaissance, au sein de la communauté musulmane. (…) L'intéressé fait ainsi croire qu'il possède des relations importantes au ministère des Anciens combattants 3.» En dépit de son soutien à Chirac à la préidentielle de 1995, Mekachera a ses entrées auprès du secrétaire d'État socialiste Jean-Pierre Masseret. Il raconte à qui veut l'entendre qu'on ne «peut rien lui refuser». Le 18 février 1999, à l'issue d'une réception du ministère, le concurrent de Boubakeur convie une dizaine de ses amis à la Maison des rapatriés pour leur préciser ses vues sur l'Islam. Les RG relatent l'événement de curieuse manière: «(…) M. Mekachera s'est lancé, à une heure avancée de la nuit, dans une violente diatribe à l'encontre du recteur Boubakeur, affirmant qu'il aurait par n'importe quel moyen la tête de Boubakeur, qui ose contrarier ses projets.» Attentifs aux moindres incidents, les policiers relèvent un «comportement pour le moins critiquable». «Ces façons d'agir dégradent un peu plus l'image de marque de la Grande Mosquée de Paris, déjà passablement ternie, et font le jeu des organisations fondamentalistes, toujours prêtes à tirer profit des écarts de conduite de responsables prétendant «régenter» la communauté musulmane de France.» Mekachera échouera à prendre la place de Boubakeur. Une fois secrétaire d'État, il change quelque peu de discours : «Ce n'était pas du tout mon but d'être le président du Conseil représentatif; j'en ai déposé les statuts parce qu'il n'y ont pas conservé le même souvenir. En tout cas, les notables de l'Islam ne sortent pas grandis de ces tentatives de coups de force. 1- Courrier de Leïla Babès à Hamlaoui Mekachera, 24 novembre 1998. 2- «Échos de la Grande Mosquée de Paris», DCRG, 12 février 1999. 3- «M.Hamlaoui Mekachera : entre opportunisme et volonté d'hégémonie sur l'Islam de France», RG, 1er mars 1999.