Deux journalistes français, Christophe Deloire et Christophe Dubois ont publié, chez Albin Michel, un livre intitulé «Les islamistes sont déjà là» et qu'ils présentent comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Nous en publions les bonnes feuilles, chapitre par chapitre. Ben Laden donne des conseils pour soigner le diabète Kandahar, octobre 2000 Il est né en haute Silésie, en Pologne, mais sa foi l'a mené jusque dans les montagnes afghanes. En 1998, Christian Ganczarski vit dans un camp situé à proximité de l'aéroport de Kandahar. Les conditions de vie sont spartiates. Avec sa femme et ses enfants, cet Allemand, lui aussi converti à l'Islam, occupe une maison équipée de deux robinets, où l'eau ne coule que deux heures par jour. Ni machine à laver ni équipement sophistiqué. «Une vie pleine de privations1», confie l'intéressé dans un témoignage à ce jour inédit sur la vie quotidienne des leaders d'Al Qaïda. Il vit au milieu des mouhajerine, des «gens qui ont quitté leur pays pour vivre selon le mode islamique pur». Ganczarski croise aussi les cadres dirigeants d'Al Qaïda, qui ont aménagé leurs «maisons privées». Il précise : «Cela vaut pour Oussama Ben Laden.» L'Allemand rencontre le Saoudien : «Je l'ai souvent vu lors de revendiquer les attentats meurtriers commis contre le navire américan USS Cole au Yémen le 12 octobre 2000. Très attentionné, l'homme le plus recherché de la planète prend des nouvelles de la famille de l'Allemand. Mis en confiance, ce dernier décide un jour de rendre visite au milliardaire pour «lui demander conseil» sur un sujet qui le taraude: «Ma fille souffrait de diabète. Comme Oussama Ben Laden souffrait également de cette maladie, j'espèrais qu'il pourrait me donner les indications sur une possibilité de soins pour ma fille.» En bon père de famille, Ben Laden lui procure un «remède naturel». Bien en cour auprès du chef terroriste, Ganczarski parle également de ses projets d'activités commerciales : «J'ai espéré qu'il m'aplanisse l'un ou l'autre chemin en raison de son influence.» Le piston, cela marche aussi dans les montagnes afghanes. Fils du fondateur d'une grande société de bâtiment et travaux publics, dans laquelle il avait lui-même travaillé, Ben Laden a conservé ses réflexes d'entrepreneur. Il encourage Ganczarski à monter une «affaire de plastique», en fait une fabrique de presses à injection. Il y aura également d'autres rencontres lors de «repas en commun». Autour de la table, entre vingt et cent personnes entourent l'état-major d'Al Qaïda. Elles célèbrent l'«akkika», la naissance d'un enfant dans le camp. À l'époque, Ganczarski assure ignorer que Ben Laden a revendiqué l'attaque contre les intérêts américains : «Je ne peux pas imaginer que cela soit annoncé à un large public, parce que cela n'est certainement discuté que dans le cercle plus étroit des dirigeants.» Le centre de l'organisation terroriste est en bordure du village. Les équipements paraissent extrêmement sommaires pour ceux qui font aujourd'hui trembler le monde occidental. Une «maison de logistique» où trônent généreusement trois ordinateurs que Ganczarski est chargé de réparer. Une «maison des médias» où sont enregistrées les déclarations de Ben Laden. Cinq collaborateurs s'y affairent avec trois magnétoscopes. Les lieutenants du maître se distinguent des hommes de main de base, car ils ont une «voiture à disposition». Dans les camps d'Al Qaïda, comme dans les multinationales des «croisés», les signes extérieurs de pouvoir prévalent. Plus angoissant, Ganczarski raconte sa visite en septembre 2001 dans un bâtiment du centre-ville de Kandahar, situé face à une mosquée, comportant deux étages et une cave. Toutes les portes sont fermées à clé : «Ce n'est pas tout le monde qui peut y aller», relate l'islamiste. L'une des fonctions de ce lieu secret est «la planification de la guerre en Afghanistan ou au sens plus large», selon le détenu. Il faut comprendre que l'on y conditionne les candidats au suicide. C'est d'ailleurs là qu'il croise «Saif le Tunisien», alias Nizar Naouar, kamikaze de Djebra (Tunisie). Les deux hommes parlent de la «lutte des musulmans contre l'Amérique et les juifs». Nizar Naouar, un «homme bon et calme», parle de ses parents en France. Il ne cache pas ses «positions radicales», mais ne fait aucune allusion à sa propre «mission» de martyr de la cause. Plusieurs mois passent. Le 11 avril 2002, Nizar Naouar appelle son «frère» Christian. Au milieu de la conversation, Ganczarski demande: «Tu as besoin de quelque chose?» Naouar : «Prie pour moi.» Ganczarski : «Si Allah le veut.» Les deux hommes raccrochent. Quarante minutes plus tard, «Saif le Tunisien» explose dans un camion-citerne piégé, devant la synagogue de Djerba. Bilan : vingt et un morts, dont deux Français. Mis en examen et détenu en France depuis juin 2003, Ganczarski est considéré comme un des «acteurs intellectuels» de l'attentat. Lui décline toute responsabolité «au nom d'Allah le compatissant». 1- Procès-verbal d'audition de Christian Ganczarski, office fédéral de la PJ de Düsseldorf, 10 juillet 2002.