Deux journalistes français, Christophe Deloire et Christophe Dubois viennent de publier, chez Albin Michel, un livre intitulé «Les islamistes sont déjà là» et qu'ils présentent comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Nous en publions les bonnes feuilles, chapitre par chapitre. Chirac s'empêtre dans ses contradictions Élysée, septembre 2003 Chirac est-il l'homme qu'il faut pour tenir tête à la menace ? Lui l'ami des pays arabes qui préfère la compagnie du milliardaire libanais Rafic Hariri à celle de nombre de chefs d'Etat ? Le président a cependant toujours eu des mots très durs pour Ben Laden. Au début de l'automne 2001, le chef d'Al Qaïda a appelé au djihad, la guerre de religion. Le 6 novembre 2001, Jacques Chirac, en visite à l'ONU, rétorque que l'homme « s'est montré sur son vrai visage, c'est-à-dire celui du fanatisme, celui de la haine, celui de l'imposture ». Pour le président, le chef d'Al Qaïda est « en vérité un fou furieux ». Dix jours plus tard, lors d'une intervention télévisée filmée au palais de l'Elysée, le chef de l'Etat évoque la « folie meurtrière», la « volonté de détruire ». Plus tard, il comparera la figure du terrorisme international à Hitler. Le 2 décembre 2001, Jacques Chirac met fin à une visite officielle au Maroc. Lors d'une conférence de presse, il parle d'un « certain nombre de terroristes, qui sont en réalité des criminels, et souvent des malades mentaux ». Constant à dénoncer Ben Laden, le chef de l'Etat ne l'est pas autant s'agissant des analyses. Le 4 janvier 2002, lors de la présentation des vœux du corps diplomatique, il indique qu'« analyser les événements du 11 septembre, c'est également réfléchir sur le décalage entre la condamnation quasi unanime des attentats par les gouvernements et les réactions de certains peuples ». Chirac n'ignore pas que, dans les écoles coraniques de Peshawar au Pakistan, dans les universités de Riyad en Arabie et les rues du Caire en Egypte, Ben Laden fait figure de héros. En France même, des jeunes gens affichent le portrait du ponte d'Al Qaïda sur leur portable, ils dessinent des bombes sur les tables des collèges et lycées. «Quelles leçons tirer de ces attentats mais aussi des réactions qu'ils ont suscitées (1)? se demande le chef de l'Etat. A cette question, il ne donne pas toujours la même réponse. Un jour, Chirac assure que le terrorisme « n'est que crime », mais, ajoute-t-il, « comment ne pas voir que la misère, le désespoir, l'humiliation peuvent offrir un terrain propice (2) » . Le chef de l'Etat prescrit un remède consistant à « réduire le fossé qui se creuse entre les pays qui bénéficient des fruits du développement et une part de l'humanité qui s'enfonce dans la pauvreté ». Cinq mois plus tard, Chirac dit tout le contraire, il considère que c'est « une grave erreur de mélanger terrorisme, disons « terrorisme de type Ben Laden », et problème des pauvretés dans le monde ». Il assure alors que « le fossé entre pays riches et pays pauvres n'a aucune part dans l'action des groupes terroristes de ce type (3) ». Pour le président de la République, la thèse de l'intellectuel américain Samuel Huntington sur le « choc des civilisations » est, ni plus ni moins, « absurde et criminelle (4) ». Le président prône le « dialogue des cultures ». Un jour, il affirme même à un visiteur que « les racines de l'Europe sont autant musulmanes que chrétiennes ». Curieux. Mais à l'occasion, Chirac change là aussi de version. En 2003, celui qu'un imam de l'Aisne a qualifié de « premier imam de France » formule des propos auxquels Samuel Huntington pourrait souscrire:» Je pense que le monde s'oriente petit à petit vers de grands blocs. Mais je pense que, parmi ces grands blocs, il y en a deux au moins qui devront être solidaires face aux autres qui ont une culture différente. C'est l'Europe et les Etat-Unis, parce que nous avons en gros la même culture, les mêmes valeurs, et donc au total les mêmes intérêts (5).» En l'occurrence, Chirac s'adresse à un public américain… De son côté, Ben Laden ne tergiverse guère. La France figure sur la liste noire. Dès le 18 mai 1998, le chef d'Al Qaïda dresse une liste de vingt-trois objectifs occidentaux liés aux « juifs et croisés ». Il s'y trouve la base militaire française de Djibouti. Ce centre opérationnel, situé dans la Corne de l'Afrique, constitue une emprise occidentale sur une terre musulmane. Le 22 décembre 2001, avec une chaussure piégée, un adorateur de Ben Laden, Richard Reid, tente de faire exploser l'avion du vol Paris-Miami. Le 8 mai 2002, une voiture piégée détruit un bus à Karachi et provoque la mort de huit Français de la Direction des constructions navales. Le 6 octobre 2002, au Yémen, un bateau conduit par des Kamikazes fonce sur le pétrolier français Limbourg. Un mois plus tard, le chef d'Al Qaïda affirme la légitimité d'une série d'attentats. Celui contre le Limbourg en fait partie. Dans son allocution, le leader saoudien avertit: « Comme vous assassinez, vous le serez aussi, et comme vous bombardez, vous le serez également. » Il pointe du doigt quelques pays, parmi lesquels la France. Au classement des pays menacés, la position de Jacques Chirac sur la guerre en Irak fait passer la France derrière les Etat-Unis, Israël et la Grande-Bretagne. Mais le risque perdure. Le 24 février 2004, Ayman al-Zawahiri condamne la France sur la question du voile. Les attentats de Madrid, le 11 mars 2004, alarment les spécialistes de l'antiterrorisme. Ils sont aujourd'hui persuadés que la France est, comme les autres, assimilée aux « croisés ». pour résister à l'offensive le gouvernement français a donc besoin d'alliés. L'idéal est d'agir en bonne intelligence avec les dignitaires musulmans. Cela suppose de part et d'autre une certaine finesse. 1. Présentation des vœux du corps diplomatique, palais de l'élysée, 4 janvier 2002. 2. Allocution télévisée, palais de l'élysée, 16 novembre 2001. 3. Interview du président de la République à l'International Herald Tribune, 20 mars 2002. 4. Point de presse de Jacque Chirac à l'issue de sa visite aux émirats arabes unis, Abou Dabi, 13 novembre 2001. 5. Interview du président de la République au New-York Times, 22 septembre 2003.