Deux journalistes français, Christophe Deloire et Christophe Dubois viennent de publier, chez Albin Michel, un livre intitulé «Les islamistes sont déjà là» et qu'ils présentent comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Nous en publions les bonnes feuilles, chapitre par chapitre. Jospin qualifie le Hezbollah de « terroriste » Tel-Aviv, 24 février 2000 Dix mois avant la nomination du docteur Sahran à la tête de la Ligue islamique à Paris, Lionel Jospin a débarqué à l'aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv. Le 24 février 2000, le Premier ministre français donne une conférence de presse, dans un grand hôtel de Jérusalem. Il est question de l'occupation israélienne au sud du Liban. Un journaliste l'interroge sur une harangue du ministre israélien des Affaires étrangères, la veille, au Parlement. Devant la Knesset, David Lévy a hurlé que « le sol libanais brûlera » en cas d'attaque d'une ville israélienne. Lévy a ponctué son discours d'une sentence : « Sang pour sang, âme pour âme, enfant pour enfant. » Lionel Jospin ne commente pas. Le Premier ministre accuse la Syrie, dont le Liban est une sorte de protectorat, de bloquer le processus de paix. Il ajoute: «La France condamne les attaques du Hezbollah et toutes les actions terroristes unilatérales, où qu'elles se mènent. » La plupart des journalistes écarquillent les yeux et tendent l'oreille. Jospin a bien qualifié de « terroristes » les attaques du Hezbollah, qui viennent de tuer septs soldats israéliens ? Oui. Le chef de la diplomatie, Hubert Védrine, lui chuchote à l'oreille : « Tu y as été un peu fort. » « J'ai laissé parler mon cœur », songe le chef du gouvernement. A Paris, en son palais de l'Elysée, Jacques Chirac fulmine . En 1996, Paris a contribué à la création d'un Comité de surveillance du cessez-le-feu au Sud-Liban. La diplomatie impose de ne pas prendre parti. Le lendemain, Lionel Jospin reçoit sur la tête un déluge de caillasses à la sortie de l'université palestinienne de Bir Zeit. Cette image d'un homme en proie à la vindicte palestinienne restera dans les mémoires autant que celle du président en train d'interpeller violemment les agents de sécurité israéliens dans la vieille ville de Jérusalem. Déduction immédiate des foules arabo-musulmanes : Jospin est l'ami d'Israël, Chirac celui des Arabes. Pour tancer son Premier ministre, le président de la République le convoque. À son retour, Jospin décline la ferme invitation. Offusqué de cette « désinvolture », Chirac décroché son combiné et rappelle la « constance» et l'« équilibre » de la politique française. Les mois suivants, la France fait pression pour éviter au Hezbollah d'être inscrit parmi les organisations terroristes de la liste noire établie par l'Union européenne. Par nature, la diplomatie a l'oubli facile. Des années durant, le Hezbollah – le parti de Dieu- fut en effet l'ennemi de la France sur la scène libanaise. En novembre 1983, des avions de guerre français décollent du porte-avions Clemenceau pour bombarder la caserne du Hezbolah à Baalbek. Les services spéciaux pensaient que la milice islamiste avait fomenté l'attentat contre le cantonnement Drakkar, qui avait provoqué la mort de cinquante-hui soldats français le mois précédent. « Avec l'expulsion des forces américaines et françaises du Liban en 1983, par le Hezbollah soutenu par l'Iran et la Syrie, et notamment la mise en scène d'attaques-suicides massives, les islamistes enregistrent une victoire militaire et idéologique(1) » À partir de mars 1985, le Hezbollah et le Djihad islamique procèdent à l'enlèvement de Français au Liban. Jacques Chirac accueillera les trois derniers otages à l'aéroport de Villacoublay le 4 mai 1988, soit quatre jours avant sa défaite face à François Mitterrand au second tour de l'élection présidentielle. Les coulisses des négociations avec les Iraniens et le Hezbollah sont toujours restées mystérieuses. Un an après sa « gaffe » en Israël, et un an avant l'élection présidentielle de 2002, Jospin tient sa revanche sur Chirac. Le coup de revers de l'amateur de tennis prend la forme d'une note de dénonciation de la DST. Le 19 janvier 2001, une fois n'est pas coutume, le service de contre-espionnage transmet cette note à la police judiciaire. Il y est écrit que des proches du président auraient détourné une partie de la rançon prévue pour les otages. Un rapport aussi sensible ne saurait être confié à la justice sans l'accord des plus hautes autorités. Et voilà même qu'un ancien ambassadeur, Eric Rouleau, certifie qu'un accord sur la libération des otages a été torpillé en mars 1986 à l'initiative d'émissaires de Chirac, alors dans l'opposition. A l'époque, en compagnie du chargé d'affaires, Pierre Lafrance, Rouleau négocie à Téhéran avec le ministre iranien des gardiens de la Révolution. Le diplomate assure être alors avisé de négociations parallèles, dans une pièce voisine. Lafrance aurait parlé à Rouleau des « promesses attrayantes que l'opposition a présentées à Téhéran pour régler le contentieux après les élections ». En 2002, ces accusations tombent à point nommé. Pierre Lafrance se tait. Il ne confirme ni n'infirme. Assis à une table du café le Transit, ce 28 janvier 2004, cet homme à l'allure raide et souriante se confie pour la première fois : « J'ai juste averti Rouleau de rumeurs courant dans les couloirs du Quai d'Orsay.» Lafrance n'est pas content du tout des « hypothèses érigées aujourd'hui en certitudes». Jamais, ajoute-t-il, les Iraniens n'ont dit avoir de meilleures propositions de la part des missi dominici de Chirac. Sur le moment, Rouleau envoie un télégramme diplomatique à Paris évoquant ces suspicions. Lafrance y appose son paraphe. Il s'explique : « J'ai procédé selon l'usage, mais les conclusions de Rouleau me paraissaient déjà de l'extrapolation hâtive. » (1.) Rapport d'information sur les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre 2001, Assemblée nationale, 12 décembre 2001.