Lew Rywin, un homme intelligent et riche, coproducteur de la Liste de Schindler de Spielberg a cru pouvoir corrompre Adam Michnik, celui qui a consacré des années de sa vie à lutter pour la démocratie. Récit. L'histoire paraît aberrante. Le producteur le plus connu du cinéma polonais, Lew Rywin, par ailleurs président du conseil de surveillance de Canal+ Pologne, tente d'obtenir un énorme pot-de-vin d'Adam Michnik, directeur du plus grand quotidien du pays. Il offre en échange une modification d'un projet de loi gouvernemental sur l'audiovisuel, et prétend agir au nom du Premier ministre Leszek Miller. Mais Michnik enregistre à son insu la proposition de Rywin, et raconte tout – mais six mois plus tard –, dans son journal quotidien, Gazeta. Les faits remontent au mois de juillet 2002. À cette époque, le gouvernement post-communiste et Gazeta sont en conflit aigu, le gouvernement ayant publié un projet de loi qui interdirait aux quotidiens d'acquérir des télévisions privées, et renforcerait considérablement la télévision publique, étroitement contrôlée par les sociaux-démocrates. Rywin contacte la direction de Gazeta, et offre l'assurance que la loi sera modifiée pour que le journal puisse acquérir la chaîne privée qu'il convoite, Polsat. Et demande 17,5 millions de dollars, soit 5 % de la valeur présumée de la chaîne, à verser sur le compte de sa société de production, Heritage. Mais ils sont en fait destinés au parti de M. Miller, le SLD. Par ailleurs, il exige d'être placé à la tête de Polsat, où il défendra "les intérêts de la gauche"... Michnik demande à le voir, lui fait répéter sa proposition, l'enregistre, et contacte le premier ministre, qu'il tutoie. Miller dément en bloc, convoque le soir même Rywin qui se retrouve nez à nez avec Michnik pour une confrontation à trois, et parle, blême, de suicide ou d'exil... Comment un homme aussi intelligent, aussi établi, aussi riche que Lew Rywin, coproducteur de la Liste de Schindler de Spielberg et du Pianiste de Polanski (où il apparaît même dans le rôle d'un profiteur du ghetto amassant des pièces d'or), a-t-il pu croire un instant pouvoir corrompre Adam Michnik ? Celui qui a consacré des années de sa vie à lutter pour la démocratie, et qui, depuis sa cellule, envoyait à la figure des dirigeants communistes un livre sur "l'histoire de l'honneur en Pologne" ? Rywin, explique aujourd'hui le Premier ministre, est devenu fou "pour de l'argent". Mais pourquoi lui-même n'a-t-il pas réagi immédiatement en portant plainte ? Et pourquoi Gazetaa-t-il attendu six mois pour dévoiler une affaire dont la rumeur avait rapidement couru ? Est-ce seulement, comme l'écrit le quotidien, pour se donner le temps de conduire une "enquête journalistique"qui n'a rien donné de plus ? Les journaux concurrents traitent l'affaire avec des pincettes, suggèrent qu'on ne sait pas tout. Contactés, les dirigeants de Gazeta refusent catégoriquement d'en dire plus. Lew Rywin se mure dans le silence. Et le ministre de la justice s'est, enfin, décidé à déclencher une action judiciaire. • Jane Krauze (Le Monde)