Entretien exclusif avec Alain Pilloux, vice-président de la Banque européenne pour la restructuration et le développement ALM : La Berd a inauguré jeudi un bureau à Tanger. Pourquoi avoir choisi la ville du détroit pour cette première expansion régionale ? Alain Pilloux : Il est primordial de souligner que la Berd est la première institution internationale au Maroc ayant ouvert un bureau en dehors de Rabat et de Casablanca. C'est un moment important pour nous, et ce pour plusieurs raisons. Ce bureau nous permettra de soutenir les petites et moyennes entreprises non seulement dans la région de Tanger mais également dans l'Oriental. Il va couvrir en effet deux grandes régions marocaines, à savoir Tanger-Tétouan-Al Hoceima et l'Oriental. Ceci démontre que la Berd est une organisation de terrain. Cette ouverture exprime notre volonté d'aller à la rencontre des PME et de travailler sur les disparités régionales au Maroc. Depuis votre arrivée au Maroc, vous avez enchaîné les rencontres et entretiens avec des personnalités marocaines de haut niveau, à leur tête le chef de gouvernement Saad Eddine El Othmani. Quel bilan faites-vous de ces échanges ? Les priorités que nous avons au Maroc me paraissent en phase avec les priorités gouvernementales. Je citerais en premier : l'employabilité. Il est très important pour nous de créer de l'emploi au Maroc particulièrement à travers un soutien accru aux petites et moyennes entreprises et même aux très petites entreprises. Cet appui se fait par le biais des banques et ce via des produits dont nous disposons. Nous prêtons aux banques marocaines de manière à favoriser l'emploi et l'entrepreneuriat des femmes au Maroc. Nous pouvons également conseiller les petites entreprises. D'ailleurs c'est ce qui sera fait à travers le bureau de Tanger. Nous avons un programme qui s'appelle «Conseil pour les petites entreprises» que nous pouvons mettre en œuvre. Nous pouvons aller un peu plus haut en gamme et soutenir le Maroc dans l'expansion des secteurs où le Royaume a déjà construit un avantage important, en l'occurrence le secteur de l'automobile et de l'aéronautique et, évidemment, le secteur agricole qui est vital pour la croissance du Maroc. Notre ambition est d'augmenter la valeur ajoutée des produits marocains dans le secteur de l'agriculture. Nous intervenons, à cet égard, sur l'ensemble de la chaîne, à savoir depuis la production primaire (ferme) jusqu'au supermarché. Quelles sont les autres priorités partagées avec le gouvernement marocain ? La deuxième priorité est la réduction des disparités régionales. Dès que le cadre réglementaire sera entièrement mis en place nous commencerons à travailler avec les régions marocaines de manière à faire des choses que chaque Marocain peut voir dans sa vie quotidienne. Citons à titre d'exemple: le transport urbain, le chauffage urbain, la qualité de l'eau, le traitement de déchets... Bref, toutes ces choses qui se font au niveau local et qui sont une spécialité de la Berd, nous voulons les développer parce que c'est un moyen non seulement d'améliorer la vie de la population mais aussi d'attirer davantage d'investisseurs dans les régions marocaines. Nous souhaitons également, pour réduire ces disparités régionales et contribuer à le faire, être impliqués dans des projets qu'on appelle dans notre jargon «connectivité». C'est-à-dire des projets qui relient les régions. Ce sont peut-être des projets routiers, ferroviaires ou des points d'entrée sur les régions avec un travail sur les ports. Vous savez que nous avons prêté beaucoup d'argent l'année dernière pour le port de Nador West Med. Nous travaillons avec l'Autorité nationale des ports et également des aéroports s'il le faut. Et aussi nous voudrions entrer dans un domaine sur lequel nous travaillons beaucoup dans d'autres pays par exemple en Turquie qui est le domaine des infrastructures de santé, en l'occurrence les hôpitaux. J'en ai, d'ailleurs, parlé au chef de gouvernement et également au ministre de l'économie et des finances qui est également notre gouverneur au Maroc. C'est au gouvernement de définir les pistes prioritaires et nous serons très heureux de l'accompagner dans ce sens. La troisième priorité n'est tout autre que les énergies renouvelables, un secteur sur lequel le Maroc est pionnier. Il se trouve également que les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique et l'adaptation climatique sont des pôles d'excellence de la Berd. À l'horizon 2020, 40% de notre activité sera consacrée à l'économie verte. Et bien sûr nous le faisons au Maroc et nous continuerons de le faire. Vous nous verrez dans des projets qui contribuent à la transition climatique. Non seulement vous accompagnez le Maroc dans sa vision sectorielle mais également dans son grand chantier de régionalisation avancée. Où en êtes-vous de l'orientation africaine du Maroc ? Ce volet a également fait l'objet des échanges à la fois avec le chef de gouvernement, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'industrie. Le Maroc a un rôle fondamental à jouer en Afrique. C'est une porte d'entrée évidente au continent. C'est aussi un pays clé dans le domaine de la migration. Davantage d'activités dans les pays de l'Afrique subsaharienne pourrait avoir des conséquences positives sur le ralentissement des flux migratoires, permettant aux gens de rester chez eux s'ils ont un emploi, évidemment, et les moyens de vivre. A cet effet, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir l'internationalisation des entreprises marocaines en Afrique, et ce dans tous les secteurs. La Berd est présente au Maroc depuis presque cinq ans. Comment évaluez-vous les relations avec le Royaume ? Et quelle place occupe-t-il dans votre portefeuille Mena ? Le Maroc pour nous est un pays majeur, dont la stabilité et la croissance économique sont essentielles non seulement pour l'Afrique mais aussi pour l'Europe et le reste du monde. C'est un pays qui a choisi très tôt une orientation économique libérale qui aujourd'hui nourrit le potentiel économique du pays et lui permettra de franchir des étapes supplémentaires de son développement. En ce qui concerne le Mena, c'est une région très importante. C'est également une région d'expansion de nos activités, notamment après avoir étendu récemment notre champ d'action au territoire palestinien et au Liban. Je peux vous dire que d'ores et déjà nous allons investir plus de 1 milliard d'euros au Mena et ce après cinq années de présence. Le Maroc joue son rôle dans ce développement. A combien s'élève le montant de fonds alloués au Maroc ? Jusqu'à présent nous avons prêté au Maroc 1,3 milliard d'euros dans 33 projets exactement. La Berd dispose d'un capital important qui lui permet de travailler. D'autant plus qu'au Mena nous n'avons pas de limites particulières à notre activité. Nous sommes guidés par la demande de nos services. Si nous pouvons faire davantage nous le ferons, notamment au Maroc pour soutenir les PME et l'internationalisation des entreprises marocaines en Afrique. Forte de son expertise dans plusieurs domaines, la Berd transpose des méthodes ayant fonctionné dans certains pays à d'autres. Si l'on veut établir un focus sur le Maroc, quels sont les secteurs dans lesquels il a valeur d'exemple ? Le Maroc est certainement un modèle à suivre en au moins deux secteurs. Il s'agit premièrement de sa capacité à attirer l'investissement étranger, et ce grâce à la stabilité du pays. Le succès qui a été atteint au niveau de l'industrie automobile est remarquable. Qui aurait dit qu'un jour des voitures seraient produites au Maroc et exportées depuis ce pays ? J'ajouterais à ce succès celui de l'industrie aéronautique. Il n'y a pas beaucoup de pays dans le monde ayant créé un climat d'investissement qui permet d'attirer ces investisseurs. Aussi, ce qui a été fait par le Maroc dans le secteur des énergies renouvelables est tout à fait impressionnant. C'est un plaisir pour nous de s'associer à cela de manière à en faire davantage. Je parle essentiellement de fermes éoliennes, d'énergie solaires et également de projets hydroélectriques qui sont importants au Maroc. Quelle approche adoptez-vous pour vous distinguer des autres bailleurs de fonds ? La réponse est assez simple. Notre cœur de cible à la Berd a toujours été le secteur privé. Nous le considérons comme moteur du développement. Par définition, et par mandat nous nous concentrons sur ce secteur, mais cela ne veut pas dire que nous négligeons le secteur public. Pour que le secteur privé se développe, il faut des infrastructures, de l'électricité, des équipements municipaux. Ce que nous essayons de faire dans le secteur public c'est de soutenir le développement des infrastructures parfois de manière classique mais aussi avec une méthodologie nouvelle. Je citerai en guise d'exemple le partenariat public privé qui fonctionne très bien dans le domaine municipal et dans le secteur de santé. Le deuxième élément de distinction est celui de l'économie verte. Nous nous sommes portés très tôt sur ce secteur précisément dès le sommet de «Gleen Eagles» en 2005. Cela nous permet de nous diriger vers des activités qui pour une bonne partie d'entre elles contribuent à économiser l'énergie, à adapter les pays aux changements climatiques et à créer des sources d'énergie alternatives. Chose qui contribue systématiquement à faire baisser le coût de l'énergie, ce qui est très important pour le Maroc de manière à continuer à attirer les investissements étrangers. Vous venez de signer avec le Maroc un protocole d'accord pour la promotion des prêts en monnaie locale. Quels sont les avantages de cette formule de financement ? Supposons qu'une entreprise marocaine a des revenus en dirhams, si elle emprunte en une autre monnaie elle risque de rembourser beaucoup plus de ce qu'elle escompte. De ce fait, il est très important de développer les prêts en monnaie locale aussi bien du côté des banques que du marché des capitaux locaux. Nous développons ce genre de prêts dans tous les pays où nous opérons. Parfois, nous n'arrivons pas parce qu'il faut modifier la réglementation. Au Maroc nous n'avons pas ce problème. Le cadre réglementaire est tout à fait adapté. Ceci va nous permettre de poursuivre et d'augmenter nos opérations de manière à donner un nouvel élan aux prêts en monnaie locale. Hormis le financement vous assistez sur le plan technique le Maroc sur plusieurs projets. En quoi consiste cette assistance ? Nous prêtons rarement de l'argent sans faire en sorte que ce que nous finançons soit préparé et mis en place. L'enjeu étant que ces projets se réalisent et se matérialisent. Nous avons les moyens de le faire. L'un des principaux signes distinctifs de la Berd est l'assistance technique ou en d'autres termes la capacité à préparer et à mettre en place des projets et pas simplement à fournir des moyens de financement. C'est d'ailleurs ce que nous faisons avec les banques. On ne se contente pas de les prêter mais on travaille avec elles sur de nouveaux produits.