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France : Les démons de l'islamisme (22)
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 27 - 12 - 2004

Deux journalistes français, Christophe Deloire et Christophe Dubois viennent de publier, chez Albin Michel, un livre intitulé «Les islamistes sont déjà là» et qu'ils présentent comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Nous en publions les bonnes feuilles, chapitre par chapitre.
Les magistrats français traquent Ben Laden
Bruxelles, 13 juin 2001
Être vigilant, c ‘est ce que font, le 13 juin 2001, à la gare du Nord à Paris, les quatre hommes au visage grave qui montent dans le train Thalys à destination de Bruxelles. Ce sont quatre hauts magistrats du tribunal de grande instance de Paris : le procureur, Jean-Pierre Dintilhac, son adjoint, François Cordier, un jeune substitut de la section antiterroriste, Marc Trévidic, et, last but not least, l'un des plus célèbres magistrats français, le juge d'instruction Jen-Louis Bruguière. Ils se rendent à une réunion de l'unité de coopération judiciaire Eurojust.
Au programme, pour la première fois, «un échange d'informations et de stratégies judiciaires» sur l'«islamisme intégriste». L'arrestation à Francfort (Allemagne), en décembre 2000, d'activistes ayant préparé un attentat contre la cathédrale de Strasbourg leur a donné, avec leurs collègues allemands et belges, l'idée de se concentrer sur les «réseaux Ben Laden». Ils mesurent le danger de ce fils de famille qui a commandité les attentats conre les ambassades des Etats-Unis à Nairobi et Dar es-Salam en 1998. Aucun ne devine toutefois qu'Al Qaïda va enflammer la planète moins de trois mois plus tard.
Dans leur mallette, les magistrats ont glissé une série de documents ultra confidentiels. Alors que défilent les plaines du plat pays, le chef du parquet parisien, Jean-Pierre Dintilhac, jette un œil distrait sur un dossier d'une quarantaine de pages, qui résume toutes les procédures françaises liées à Al Qaïda. Le dossier comprend des «cartes topographiques» de quinze camps d'entraînement militaire en Afghanistan et au Pakistan. Insérée dans une pochette verte, une note de dix pages évoque l'historique des «réseaux Ben Laden». Le rapport commence par : «Oussama Ben Laden est né à Riyad en 1957. À la fin, l'auteur conclut qu'il demeurera «pour quelque temps» la «principale menace terroriste islamiste pour le monde occidental». Le document égratigne les Américains, qui ont diffusé à son propos des «affiches dans la plus pure tradition de celles utilisées au XIXe siècle dans le Far West américain, débutant par le fameux Wanted ou Reward». Le rédacteur ajoute : «De son côté, Ben Laden, qui ne manque pas d'hmour pour un terroriste sanguinaire, a fait placarder, dans plusieurs provinces afghanes, au cours du mois de septembre 1999, des affiches montrant le portrait du président Clinton».
La mallette contient des preuves de liens entre le chef d'Al Qaïda et des islamistes français. Écoutes téléphoniques à l'appui, un procès-verbal détaille aussi les relations entre l'organisation de Ben Laden et un mouvement extrémiste islamique philippin, le Moro Islamic Liberation Front (MILF)1. Cette faction a pour objectif de créer un État islamique dans le sud des Philippines.
Pourquoi un tel intérêt pour les archipels du Sud-Est asiatique, aux antipodes de l'île de la Cité et du palais de justice ? Par ce que six moi plus tôt, le 16 décembre 1999, un Français, Abdesslam Boulanouar, a été arrêté à Pasay City (Philippines), porteur de tout un attirail terroriste. Muni de son inquiétant bric-à-brac, il rejoignait des camarades à Francfort. Lors de son interpellation les enquêteurs ont découvert sur lui des rapports d'activité du MILF où figuraient le nombre de «croisés» tués par les moudjahidine et celui des «martyrs» morts pour la cause. Les «croisés», cela fait écho au front contre les juifs et les croisés, fondé par Ben Laden en février 1998. La mallette regorge d'autres secrets, notamment sur Ahmed Ressam, arrêté le 14 décembre 1999. Venant du Canada, ce militant islamiste s'est présenté au poste frontière de Port Angeles, dans l'Etat de Washington, près de Seattle, aux Etat-Unis . La camionnette qu'il conduisait était bourrée d'explosifs. Le chauffeur était censé la faire exploser à l'aéroport de Los Angeles pour célébrer à sa manière le Millenium. «L'action qui devait viser les Etat-Unis semble s'inscrire dans le cadre des menaces proférées par les groupes islamistes inféodés au leader saoudien Oussama Ben Laden, résidant en Afghanistan», avait aussitôt estimé la DST(2), Un responsable du contre-terrorisme à la DST vante les mérites de son service : «Dès 1994», nous avions ressenti le besoin de faire le point sur Oussam Ben Laden. Il allait être déchu de sa nationalité en Arabie saoudite, il quittait le Soudan pour se rendre en Afghanistan. C'était un sujet d'actualité». Chef de l'UCLAT de 1992 à 2002, Jacques Poinas certifie que le nom de Ben Laden est cité dès 1995 dans les réunions rassemblant tous les services chargés de traquer les islamistes : Il apparaissait alors comme mécène et sponsor des camps d'entraînement au Pakistan et Afghanistan
En 1996, un enquêteur de la division nationale antiterroriste, Jean-François Battin, représente la France à une conférence sur l'islamisme en Allemagne. Il évoque de manière presque badine l'apparition au Pakistan d'un «personnage assez intéressant, ami de Hassan Tourabi», le leader islamiste soudanais : «C'est un milliardaire d'origine yéménite de nationalité saoudienne, il s'appelle Oussam Ben Laden. Il a quarante-trois ans environ. Il est propriétaire de multiples sociétés (…) C'est certainement le plus gros financier des mouvements islamistes; c'est lui qui a fait construire au Pakistan ce qu'on appelle les «maisons' . Ceux qui veulent aller combattre en Afghanistan passent par ces maisons (…). Nos «valeureux combattants », venus de France, ne sont pas très nombreux à supporter ces conditions et reviennent au bout de quelque temps». Vu comme ça, Ben Laden n'a pas l'air bien méchant. Mais Battin a de l'instinct. Il ne se trompe pas de cible. Directeur de la DST de 1997 à 2002, Jean-Jacques Pascal est formel : «Nous avons établi le premier dossier complet sur Ben Laden au cours de l'été 1998. Nous étions précurseurs. Il s'agissait d'une monographie complète, rédigée peu de temps après la fatwa lancée contre les juifs et les croisés.» Après le 11 septembre, la CIA et le Pentagone enverront au ministre de l'Intérieur français, Daniel Vaillant, des lettres de remerciements, rendant hommage à l'expertise française.
Avant même les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, un Français travaille dans son coin sur les «financements d'Oussama Ben Laden».
Ancien assistant au Parlement français et au Congrès américain, Jean-Charles Brisard travaille à la direction de la prospective de Vivendi Universal, sous les ordres de l'ancien magistrat antiterroriste Alain Marsaud. En passant des centaines d'heures sur le Web, le jeune homme décrypte la nébuleuse financière de la famille Ben Laden. Marsaud lui apporte un peu d'aide, en le faisant profiter de ses contrats. Un jour, l'ancien magistrat organise un dîner dans un restaurant du Marais avec le directeur adjoint de la DST, Jean-François Clair, et l'ancien coordinateur de la lutte antiterroriste aux Etat-Unis, John O'Neill.
Reconverti dans la sécurité du World Trade Center, celui-ci finira d'ailleurs sous les décombres des deux tours. Après le 11 septembre, le rapport de Brisard défraie la chronique. La rumeur veut même que Jacques Chirac l'ait remis en main propre à George W.Bush. Le P-DG de Vivendi Universal, Jean-Marie Messier, ne tire aucune fierté de la nouvelle notoriété de Brisard. Le «maître du monde» se sent soudain tout petit face à Ben Laden. Al Qaïda n'aurait-elle pas l'idée de se venger contre l'une des filiales de Vivendi ? « Par mesure de sécurité», le gêneur est licencié . Brisard se reconvertit en enquêteur privé. Mandaté par un avocat américain ayant déposé une class action- une plainte collective-contre l'Arabie saoudite, il s'échine depuis à tenter de démontrer l'implication de la monarchie saoudienne dans les attentats.
1.«Renseignements concernant les liens entre Oussama Ben Laden et le MILF», DST, 23 juin 2000.
2. «Liens pouvant exister entre des ressortissants français et un réseau terroriste démantelé à la suite de l'arrestation aux Etats-Unis de l'islamiste algérien Ahmed Ressam», DST, 19 juin 2000.


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