Cinq mois après les élections législatives de mai, les Algériens retournent aux urnes ce jeudi pour un scrutin local sous haute tension, entre situation insurrectionnelle en Kabylie, risques d'abstention et de fraude. «Par la nature et l'ampleur des enjeux qu'elles comportent en termes d'approfondissement de la démocratie locale et de dynamisation du développement local», les élections de jeudi «auront un impact déterminant sur le processus de l'édifice institutionnel du pays», a récemment souligné le président Abdelaziz Bouteflika. Plus de 16,7 millions d'électeurs algériens sont en effet appelés à renouveler près de 1.550 assemblées populaires communales (APC) et quelque 48 assemblées de wilaya (APW) ce 10 octobre. Mais la première question est : «qui ira voter ?». Ce titre évocateur d'un climat de fracture et de tension a fait plus d'une fois la «Une» des journaux d'Alger cette semaine. Unanime, la presse annonçait d'ailleurs un scrutin identique à celui du 30 mai : «une campagne totalement illisible», «des panneaux d'affichage désespérément vides», «le citoyen complètement désabusé devant l'absence de débats». Et spéculait déjà sur un taux d'abstention record – celui des législatives avait atteint 54 % - «porteur de tous les dangers», malgré les programmes de «sensibilisation» élaborés par les autorités ou les candidats. Ces derniers sont pour leur part au nombre de 152.241 (119.614 pour les PAC et 32.627 pour les APW) à briguer un mandat de cinq ans, selon les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur. Parmi eux, les femmes restent – malgré une hausse par rapport au scrutin de 1997 - encore largement sous-représentées, avec une présence de 3,05 % dans les listes communales, et de 8,13 % pour les APW. La plus grande nouveauté de ces élections sur le plan des partis en lice reste la décision, fin août dernier, du parti d'Hocine Aït Ahmed d'y participer, «parce que ces sièges sont les seuls à pouvoir encore représenter la population». Mais il a fallu au Front des forces socialistes affronter la colère de la Kabylie, son fief, qui relançait dans le même temps sa campagne anti-vote. Saccages, intimidations, lynchages ne semblent cependant ne pas avoir eu raison de la détermination du parti même si son leader a tenté d'alerter lundi les autorités algériennes, l'ONU et l'Europe. Désertant les meetings, l'ensemble des candidats semblaient avoir par ailleurs ignoré la proximité de ce scrutin. Le Matin constatait mercredi n'avoir «aperçu aucun candidat sur le terrain hormis ceux du FFS, qui tentaient vaille que vaille de convaincre qu'ils feront ce qu'ils n'ont pu faire auparavant», lorsqu'ils étaient dans le camps du boycott. Hormis cette inconnue qu'est la future performance du Front des forces socialistes, tout semblait par ailleurs indiquer une répétition du scénario de mai dernier. Selon la presse, ce scrutin devrait reconduire les mêmes formations au pouvoir, en particulier le Front de libération nationale du Premier ministre Ali Benflis. Ce qui n'a pas empêché certains partis de crier «gare à la fraude» et à «l'élimination illégale» des candidats. Des vols de bulletins de vote ont déjà été constatés dans plusieurs communes, notamment à Adrar, Illizi et Tarf. Cinq partis, le FLN, Ennahda, I'UDL, le FNA et le FFS, ont aussi menacé mercredi de se retirer de la compétition électorale à Alger-Centre, où ils accusent le RND d'organiser la fraude électorale. Le parti d'Ahmed Ouyahia, grand perdant des dernières législatives, aurait utilisé les moyens des communes pour ses besoins de campagne… «6.000 cartes de vote de personnes décédées sont (aussi) déjà prêtes pour un véritable bourrage des urnes» (Liberté). Reste la situation explosive en Kabylie, où le rejet des élections par les délégués du «mouvement citoyen» a pris une tournure encore plus radicale lors de cette campagne. «Pour ce 10 octobre, rien n'a changé. Toute une région risque de basculer dans le chaos mais le pouvoir et ses commis feignent de ne rien voir», soulignait mercredi Le Matin. Dans la wilaya de Tizi-Ouzou mais aussi celle de Béjaïa, les affrontements se sont multipliés, l'arrivée de renforts sécuritaires ayant finalement envenimé un peu plus les tensions cette semaine. A Béjaïa, les retraits de candidats se sont même succédé, notamment dans les rangs du FFS et du FLN, après les défection déjà enregistrées dans de nombreuses communes, où le vote n'aura pas lieu faute de candidats. En campagne depuis plus d'un mois pour le boycott des élections, les coordinations Aârouch, Daïras et Communes ont pour le moins réussi à créer un climat insurrectionnel qui doit aboutir à l'empêchement pur et simple du vote ce jeudi. Une attitude qui n'est toutefois pas exclusive à la Kabylie puisque plus à l'ouest, du côté d'Oran notamment, la population, surtout les jeunes, semblait elle aussi décidée à tourner le dos au scrutin. Ce 10 octobre pourrait bel et bien tourner au cauchemar…