Malgré les forts soupçons, le ministre de l'Emploi a cautionné et couvert de bout en bout l'opération de la société émiratie Al Najat devant le Parlement et dans les médias. Aujourd'hui que l'escroquerie est établie et que les victimes descendent dans la rue, les pouvoirs publics doivent assumer leurs responsabiltés. La justice doit passer. Le nouveau gouvernement, même s'il ne se compose que des anciens ministres, va trouver en haut de son agenda l'escroquerie aux emplois où plus de 30 000 jeunes citoyens ont été «menés en bateaux» par un établissement public sous tutelle du ministère de l'Emploi, agissant pour le compte d'une redoutable officine basée aux Emirats Arabes Unis. Sur cette question, il devra aller vite, parce que les faits sont connus et dramatiques, avec des conséquences qui peuvent être graves. L'affaire se résume à un enchaînement de naïveté, d'incompétence, puis de mauvaise foi, et en définitive, de mauvaise gouvernance, concentrant tout ce que la politique publique marocaine peut produire d'atteintes aux intérêts du pays et révéler comme inertie dans la machine de l'Etat. Un marchand de rêve, qui a déjà expérimenté son coup au Kenya et en Syrie, se présente à un salon de l'emploi où il n'a pas de mal à embarquer dans son stratagème le directeur de l'ANAPEC, toute jeune agence publique chargée d'apporter aux entreprises une offre d'emplois adaptée à leurs besoins. 30.000 emplois, c'est le rêve. Le ministre est informé, il s'emballe. On n'a pas de mal à comprendre son enthousiasme. Il va résoudre le problème de 30.000 familles qui vont voir leurs rejetons, jusqu'ici désœuvrés, aller voguer en haute mer, transformer leur vie, avoir enfin un job. C'est l'aubaine. On va recruter dans toutes les régions du pays. Et à la veille des élections, c'est vraiment un très joli coup. Dans cette euphorie, pourquoi s'embarrasser du droit international de la migration qui exige des accords bilatéraux avec le ou les pays d'accueil ? Qui stipule que les gens ne doivent en aucun cas payer pour travailler. Pourquoi s'embarrasser du droit international maritime qui exige des procédures strictes pour les visites médicales, les assurances, la délivrance d'un livret ? Et pourquoi s'embarrasser du libre choix du médecin ou de l'existence d'hôpitaux ? Non, tout ça n'est que formalités. Et il faut aller vite. Tout le monde ira à la même clinique, et tant mieux si elle appartient à des proches. Aux journaux, comme Aujourd'hui le Maroc, qui soupçonnent un mauvais coup, puis qui le prouvent et le dénoncent, on répondra sur le registre de la paranoïa. Tout ça est très classique, en définitive. Comme un enfant qui ok ayant formulé un mensonge ok s'y enferme, et persiste, pensant que le coût de l'aveu serait plus lourd de conséquences que celui de l'obstination dans le bobard. C'est vrai qu'il y avait les élections en perspective. On devine sans mal la crainte des gorges chaudes et des plumes perfides qui a dû saisir les responsables qui se sont rendu victimes de ce mauvais coup. Notamment de la part de leurs alliés ou de leurs faux frères. La politique marocaine, comme ailleurs, comporte la délectation sur l'erreur ou l'échec des concurrents. Maintenant, les élections sont passées. Et le problème est là. Il faut le traiter avec courage et transparence. Il s'agit d'abord de reconnaître avec humilité que le gouvernement tout entier s'est fait avoir. C'est une chose qui peut arriver, l'escroquerie internationale existe et existera de plus en plus dans le contexte de la globalisation. C'est aux États de s'en protéger en définissant des dispositifs immunitaires clairs et efficaces. Il s'agit ensuite, et très vite, de rembourser les victimes et de leur présenter des excuses. Il reste l'Anapec. La personne de son directeur général n'est pas en cause. Il a même eu le mérite de révéler la vulnérabilité extrême de la politique publique vis-à-vis de l'étranger. Mais l'avenir de l'Anapec en tant que tel doit être repensé. Si cette agence avait été de droit privé, sur la base d'un cahier des charges défini par l'Etat et une gestion privée astreinte à des obligations de résultat, les choses se seraient certainement déroulées différemment. Cette agence doit revenir à son métier de base et s'y tenir. Elle devrait au plus tôt être débarrassée des réseaux qui ont monopolisé ses postes de direction. Il restera alors à tirer les leçons de ce drame. Une enquête impartiale devra déterminer les responsabilités. L'idéal serait de la présenter au Parlement. Ce serai une bonne occasion pour instaurer enfin un vrai débat sur le traitement du chômage dans notre pays. Voilà un beau chantier, de salubrité publique pour la nouvelle équipe gouvernementale. • Fadel Benhalima Consultant ALM