Rédouane Taouil, l'auteur de «Leçons de macroéconomie» répond, dans cet entretien accordé à ALM, aux propos rassurants tenus dernièrement par Fathallah Oualalou, ministre de l'économie et des Finances. Selon cet économiste, une politique économique active est nécessaire pour amorcer la sortie de la croissance molle. ALM : Selon l'argentier du royaume, l'économie marocaine a réalisé de bonnes performances notamment en matière de gestion des finances publiques et d'inflation, comparativement aux résultats de la période 1993/1997. Quelles réflexions vous inspire cette évaluation ? Rédouane Taouil : Les objectifs de déficit public à moins de 3 %, d'inflation à moins de 2 %, de stabilisation du ratio de la dette par rapport au PIB ont été réalisés. Ces résultats ne peuvent être considérés comme étant bons, notamment dans un contexte de faible croissance, de chômage urbain à plus de 21 %, et d'accentuation du phénomène de la pauvreté. L'objectif de rééquilibrage budgétaire n'a rien de satisfaisant en soi. Les restrictions budgétaires renforcent l'atonie de la demande globale et installe l'économie dans un cercle vicieux : La contraction des recettes fiscales conduit à une restriction du déficit public, laquelle contribue à la rétraction des revenus et de la demande . L'objectif d'une faible inflation brime l'investissement et la croissance. Les taux d'intérêt réels (déduction faite de l'inflation) sont rédhibitoires. Ils exercent un impact négatif sur l'emploi et sur l'investissement notamment au niveau des petites et moyennes entreprises. La priorité absolue accordée à la maîtrise de l'inflation va ainsi à l'encontre des intérêts des entreprises, qui se trouvent exclues de l'accès au crédit, et des candidats à l'emploi. Pourtant, selon le ministre de l'économie et des finances, la croissance a été en moyenne de plus de 4 % ? La croissance a été dans l'ensemble très molle. Le rythme d'expansion de la production industrielle n'a pas dépassé 3,5 %. Si l'on tient compte de la sous-utilisation des capacités de production, des ressources financières, et du chômage massif, le déficit d'activité est très important. L'écart entre la croissance potentielle et la croissance effective témoigne de l'impossibilité de réduire le déficit public, de maîtriser d'inflation et de réaliser une croissance régulière. L'économie marocaine reproduit, en les intensifiant, les facteurs de blocage de la période 1993-1997. La contraction des dépenses publiques à caractère social, la très faible création nette d'emplois, la déficience de la consommation privée, le faible niveau de l'investissement privé, l'accentuation des inégalités sociales sont autant de facteurs qui s'entrelacent pour renforcer la logique récessive. Le coût en termes d'emploi, de production, et de bien-être social exprime avec éloquence l'absence de pertinence de la politique de rigueur. Quelles sont alors, selon vous, les mesures les mieux appropriées qu'il faut mettre en place en faveur de la politique économique ? La situation de l'économie marocaine requiert une politique budgétaire et monétaire centrée sur des objectifs de croissance et d'emploi. L'expansion des dépenses publiques en matière d'infrastructure, de formation du capital humain est nécessaire, même financée par le déficit. L'insuffisance de la demande globale passe par la pratique d'un déficit de régulation à même d'avoir à la fois une efficacité macro-économique et une efficacité micro-économique. Ce déficit actif, peut permettre à l'économie d'accroître significativement le niveau d'activité et d'engendrer les ressources nécessaires à son autofinancement. Dans le même temps, il est en mesure de soutenir la demande auprès du secteur privé, d'améliorer les perspectives de profit des entreprises et d'accroître l'épargne. Loin d'évincer les entreprises, le déficit est à même d'exercer, de par son effet créateur de demande et de profits, un impact positif sur les décisions de production et d'investissement. D'autre part, la stabilité des prix n'étant pas menacée, la politique monétaire doit s'assigner un objectif de production. A ce titre, la banque centrale peut se donner une norme de taux d'intérêt qui ne considère pas la croissance comme seconde para rapport à la maîtrise de l'inflation. Compte de la sous-utlisation des capacités de production, l'économie marocaine ne présente pas de risques d'inflation. Une politique économique active est donc nécessaire pour amorcer la sortie de la croissance molle.