Fascinée par les Talibans, le Mollah Omar et Ben Laden, la bande à Fikri et à Damir avait sévi dans l'ombre depuis plusieurs années. Ces intégristes d'un autre genre ont commis des meurtres et des agressions en série au nom de la religion avant de tomber par le pur des hasards à Tanger. Récit. Le Maroc a vécu un été 2002 chaud. Meurtrier. Un mois d'août au long duquel les Marocains ont découvert, entre peur et stupéfaction, que leur pays n'est pas à l'abri de l'intégrisme violent animé par une horde de jeunes obscurantistes, qui ont décidé de passer à l'action. Tuer ceux qu'ils jugent “impies“ et “mécréants“. Bienvenue dans la citadelle de la Salafia Jihadia, le nom cette mouvance clandestine, apparue au début des années 90 et jusqu'ici très peu connue du grand public. Les adeptes de cette nébuleuse, dont certains étaient des combattants en Afghanistan, furent démasqués à Tanger grâce aux aveux de Youssef Fikri, alias l'émir Abdelaziz, arrêté par hasard le 6 juillet dans la ville du détroit avec deux de ses comparses. Les accusés, qui ont tenté de se faire passer pour de simples délinquants, ont fini par avouer une série d'agressions, d'enlèvements et de meurtres restés jusqu'ici mystérieux. Ils vivent d'ailleurs de larcins qu'ils considèrent comme du butin. Parmi les assassinats, le point de départ d'une enquête tous azimuts, celui du notaire Abdelaziz Assadi à Casablanca, kidnappé en pleine nuit à Casablanca avant d'être égorgé et son cadavre jeté dans un puits . Ni vu ni connu. Fikri le sanguinaire égorgera aussi son propre oncle, Abdelaziz, qui a une maîtresse dans un douar dénommé Khnichat à Youssoufia. Pour cela, il a juré d'avoir sa peau. En effet, le couple adultérin est surpris le 26 octobre 1998 par l'arrivée à l'improviste de Fikri et consorts. “ Je suis le mieux placé pour le tuer“, lâche Fikri, le regard terrifiant. Et il passe à l'acte froidement sous l'œil effaré de la femme. Car d'habitude, “l'honneur de tuer“ revient au chanceux favorisé par le tirage au sort. Quelques jours avant leur capture fortuite à Tanger, le trio de la mort avait débarqué à Tanger. C'est à partir de cette planque, où les enquêteurs saisissent 3 fusils à canon scié et 90 balles, que la bande a décidé de faire les repérage nécessaires. Fikri et ses amis se mettent d'accord pour assassiner trois industriels, un député, un haut gradé de la Sûreté et quelques trafiquants en vue. Après une semaine de reconnaissance et d'acclimatation, ils descendent en ville après la tombée de la nuit. Un taxi-driver s'arrête pour déposer une cliente. Une querelle éclate entre le chauffeur et la dame, probablement autour du tarif de la course. Nos tueurs assistent à la scène. Dans un moment de colère, le chauffeur de taxi aurait fait offense à la religion. Mal lui en a pris. La triplette intégriste, qui n'avait pas dans le programme l'assassinat d'un chauffeur de taxi, monte dans ce même taxi. Dès le démarrage du véhicule, les mains du conducteur sont attachées et la bouche bâillonnée. Les coups de poings pleuvent. Les coups de coutelas aussi. Les agresseurs s'emparent de la voiture. Comme ils ne connaissent pas bien Tanger, ils se perdent dans ses dédales. Panique à bord. Affolés, ils abandonnent la voiture à Aqabat Chorf, tout près du 4ème arrondissement. À ce moment-là, surgissent de la nuit noire des éléments de la PJ portant des gilets, qui faisaient une ronde à pied. Les tueurs ne sont pas loin, on peut les apercevoir aux prises avec un autre chauffeur de taxi qu'ils s'emploient de toutes leurs forces à jeter hors de son véhicule. Après un moment d'hésitation, les policiers, au nombre de six, affrontent la situation. Deux agresseurs armés de sabre -le troisième a eu le temps de s'enfuir- contre 6 agents de sécurité. Il est minuit passée, ce 12 juillet 2002. Fikri et son acolyte, un salafi de Fnideq, seront maîtrisés après une résistance farouche. Le fuyard n'est autre que Mohamed Damir, alias Abou Al Harit. Agé de 30 ans, issu du quartier El Oulfa à Casablanca, celui-ci est l'une des figures agissantes de la Salafia Jihadia. Passablement inculte, il a fait ses classes chez les patrons de cette mouvance, les Fizazi, Haddouchi et autres Kettani. Youssef Fikri, niveau 2ème année secondaire, qui a vécu dans un milieu islamiste (son père est un modéré), rencontre Abou Al Harit en juillet 1999 et devient membre de son groupuscule. C'est Damir qui a ordonné à ses ouailles de se raser de près et de s'accoutrer d'une manière branchée (jean, tennis et Chewing gum) pour éviter d'attirer l'attention et de se fondre facilement dans la foule. Avant que les deux hommes ne se croisent, chacun a sévi à sa manière. S'habillant à la manière des Talibans, la bande salafie agressait les couples au vu et au su de tous avant de s'installer à Douar Skouilla dans la périphérie casablancaise. Suite à un différend sur le rapt d'un fonctionnaire à Nador, Fikri fait scission et crée son propre groupe tout en défendant “la même cause“ et en montant les mêmes opérations avec son compagnon. Maintenant que l'ennemi a été identifié, il fallait passer à l'action. Faire la chasse à ces tueurs de l'ombre. Mobilisation intense de tous les appareils de sécurité dans les différents lieux d'implantation des réseaux. La première confrontation a pour théâtre, dans la nuit du mardi 6 août, une habitation de Sidi Moumen à Casablanca. Mohamed Damir et d'autres adeptes se planquaient dans une maison. Intervention de la police. Le face-à-face est sanglant. Un agent de sécurité a failli y passer, blessé à l'arme de prédilection de ces fous de dieu, le sabre. La police, obligée de se défendre, utilise ses pistolets. Rabii Aït Ouzou, le compagnon de Damir succombera plus tard à l'hôpital. Le second est toujours hospitalisé. L'action énergique des services de sécurité ne s'arrête pas là. Une trentaine d'interpellations sont opérées à Tanger, Tétouan, Fès et Casablanca. Seul mot d'ordre : ne pas baisser la garde. Sévir là où les obscurantistes se terrent. La lutte continue…