C'est une enquête de longue haleine comme le Maroc n'en a jusqu'ici pas connu, une mobilisation générale des services de contre-espionnage marocains. Objectif : identifier les membres des réseaux dormants d'Al Qaïda dans le pays et remonter ensuite les filières des complicités locales. Chronique d'une action exceptionnelle rondement menée. Association de malfaiteurs, tentative d'homicide volontaire avec préméditation et participation. Tentative de sabotage à l'explosif. Séjour illégal. Faux et usage de faux et débauche…Ils réunissent sur eux assez de chefs d'accusation d'une extrême gravité pour être expédiés à l'ombre pour le restant de leur vie. “Ils“, ce sont les Saoudiens de Ben Laden arrêtés en mai dernier au Maroc : Zouhaïr Hilal Mohamed Tabiti, Hilal Jaber Awade Al Assiri et Abdallah Msafer Al Ghamidi. Tous des jeunes issus de milieux modestes. Agés respectivement de 26, 31 et 22 ans. La troïka de la mort. En attendant de répondre de leurs actes, les accusés, qui ont séjourné dans les camps d'entraînement en Afgahnistan, dorment aujourd'hui à la prison de Okacha à Casablanca. Ils ne sont pas seuls. Avec eux, des campagnes d'infortune. Leurs copines marocaines, Naïma Haroune et Bahija Hidouri. Et un commerçant de Rabat, Nadiri Mohamed, qui a servi de prête-nom pour recevoir sur son compte bancaire les fonds destinés aux saoudiens. Naïma est la femme de Hilal Jaber et Bahija celle de Abdallah Al Ghamidi. De jeunes filles voilées, originaires de familles pauvres de Rabat, qui ont succombé aux sirènes de l'intégrisme. Quant à Zouhaïr Hilal, alias Sami, il a perdu sa moitié, une Marocaine du nom de Rajae Benmoujane, morte dans les bombardements américains contre l'Afghanistan. C'est ce drôle de veuf, qui a débarqué au Maroc en janvier 2002, qui est la pièce-maîtresse de ce réseau dormant d'Al Qaïda. Il a rencontré Ben Laden, son “maître à tuer“, pas moins de 30 fois et lui a juré de monter des attentats-suicides contre des objectifs occidentaux. L'enquête menée par les services de sécurité nationaux mettra en lumière des complicités locales directes parmi des groupuscules de la salafia Jihadia (Jihad Salafiste)prônée par Ben Laden, qui ont essaimé comme la chienlit à travers le pays.(Voir encadré). Ainsi la bande à Zouhaïr a-t-elle de la “famille“ dans le Royaume auprès de laquelle elle trouve un soutien des plus actifs sans lequel ils n'auraient pas pu se fondre dans la foule des anonymes et préparer tranquillement ses opérations terroristes. Pour cela, se lier avec des filles locales est une condition capitale, voire incontournable. D'abord, cette stratégie permet aux membres d'Al Qaïda de ne pas séjourner dans des hôtels où ils risquent d'être signalés juste après leur arrivée. Ensuite, vivre en famille occasionne moins de frais que de se comporter en touriste et confère de surcroît au foyer la respectabilité nécessaire. Qu'à cela ne tienne, les adeptes de l'islam violent, ces Talibans marocains, qui sont fascinés par le rigorisme taliban du Mollah Omar et par la “guerre sainte“ menée par Oussama Ben Laden, se chargeront de jouer les agences matrimoniales en leur proposant des liaisons avec des militantes salafistes. La législation marocaine, qui ne reconnaît pas ces mariages comme tels car tous contractés sans acte adoulaire, les qualifie plutôt de débauche pure et simple. Un homme, inconnu des médias et du grand public, jouera un rôle considérable dans cette affaire et au-delà dans l'implantation et l'intégration des terroristes sur le sol marocain. Son nom : Ahmed Rafiki, gourou de la mosquée Annour à Casablanca et passage obligé de la légion marocaine en Afghanistan. Ce personnage facilitera non seulement la liaison de son hôte, Zouhaïr Hilal avec Rajae Benmoujane, mais offrira ses bons offices pour que cette dernière obtienne le visa du Pakistan qui lui permettra ensuite de rendre dans le pays des Mollahs. Pris en charge par ces “frères“ marocains, Zouhaïr et ses amis, qui possèdent tous une couverture officielle pour les besoins de leurs projets terroristes, sont comme un poisson dans l'eau. L'un d'eux rencontrera à Casablanca une autre figure de l'islamisme violent, Abou Hafs, emprisonné depuis quelques mois à Fès pour incitation à la violence. La prise en charge des adeptes marocains de la salafia Jihadia ne s'arrête pas à “la mise en relation conjugale“. En plus de l'argent, certains parmi eux à Casablanca proposeront à Zouhaïr des lieux de repli dans les campagnes en vue de déjouer la vigilance des services de sécurité. Tout en s'efforçant de se montrer comme des gens ordinaires vivant dans un pays ordinaire, qui vaquaient normalement à leurs occupations, les Saoudiens préparaient le terrain à l'opération Gibraltar. À cet effet, ils feront une mission de reconnaissance à Nador et à Fnideq. Ici, ils jouent les touristes curieux en posant autour d'eux des questions sur le degré de facilité d'accès à Sebta et à Mélilia. Une fois dans l'une de ses enclaves, ils projetaient de louer une villa assez spacieuse pour contenir des Zodiacs. À ce stade, mission accomplie pour la bande à Zouhaïr. Deux autres équipes devaient prendre le relais : la première chargée de placer les explosifs dans les pneumatiques et la deuxième formée des kamikazes qui les dirigerait contre les bâtiments américains et britanniques sur le Détroit de Gibraltar. Les enquêteurs ont saisi chez les hommes d'Al Qaïda une dizaine de matières pour les explosifs, disponibles sur le marché local, et une pesée électronique, achetée à Marrakech, pour un dosage au millimètre près. La formule scientifique est d'une précision d'orfèvre. D'ailleurs, l'essai a été confié à un laboratoire. Les artificiers ont eu froid dans le dos. La bombe a explosé. Ce n'est pas tout. Ces émissaires de la mort ont même fabriqué un poison mortel qu'ils voulaient injecter dans des diverses sortes de produits de consommation. Au simple toucher de ces denrées, la victime succombe sur le coup à une crise cardiaque. L'expertise approfondie de cette matière dangereuse est en cours. Venus au Maroc pour l'opération Gibraltar, Zouhaïr Hilal et Hilal Jaber ont pensé un moment abandonner leur projet initial pour exécuter des attentats-suicides sur le sol marocain, à Casablanca, Marrakech, Rabat et Tanger. Pensant que la CTM appartient à des Juifs, ils étaient déterminés à faire exploser un autocar de cette compagnie de transport. La célèbre place Jamâa El Fna à Marrakech était également dans la ligne de mire des terroristes. D'ailleurs, les deux kamikazes, qui étaient prêts à mourir chacun dans une opération-suicide, ont contacté via Internet un de leurs compatriotes installé au Pakistan, Khallad dit Silver pour lui demander des renseignements sur la manière de déclencher le détonateur. Zouhaïr sera ensuite orienté sur un site Web spécialisé, animé par abou Khabab Assouri, un ex-officier de l'armée syrienne qui a rallié l'organisation de Ben Laden. Tant pis donc pour les Musulmans qui risquent de périr dans ces attques aveugles ? Ici on tombe en plein sur le concept pour le moins barbare inventé par le milliardaire saoudien : Attatarros. Un terme, qui n'a pas son équivalent en français, mais qui signifie que l'assassinat ne serait-ce que d'un seul mécréant attablé par exemple dans un café justifie aux yeux de Ben Laden que soient tués avec lui des musulmans innocents. N'était le refus du Mollah Bilal qui a rappelé à ses deux acolytes, Zouhaïr et Hilal, qu'ils étaient au Maroc pour faire des repérages pour l'opération Gibraltar, l'irréparable se serait produit. Lors de l'interrogatoire, les deux acolytes ont appris aux enquêteurs que le Mollah Blal, un ressortissant saoudien d'origine yéménite, est le cerveau de l'attentat perpétré en octobre 2000 contre le destroyer lance-missile américain dans le port d'Aden au Yemen. Les accusés ont livré aux enquêteurs d'autres tuyaux utiles qui ont permis l'interpellation récente au Maroc d'un gros bonnet d'Al Qaïda, Abou Zouhaïr El Haïli. L'affaire Ben Laden au Maroc ne fait que commencer. Les enquêteurs marocains travaillent d'arrache-pied pour débusquer un tas de monstres enfantés par Ben Laden et mettre au grand jour d'autres complicités parmi la nébuleuse islamiste locale. Une véritable pieuvre.