Mohammed Abed al-Jabri, l'un des philosophes fondateurs de la pensée arabe moderne, s'intéresse dans ses «Positions : témoignages et mises en lumière» à l'histoire contemporaine du Maroc. Il nous la présente avec cette acuité et cette pertinence qui ont fait sa renommée de penseur perspicace. Se tournant ensuite vers la Radio nationale (la télévision n'existait pas encore), le gouvernement nomme Dr. Mahdi Manjra à sa tête. Le projet de restructuration que ce dernier mettra en place devait faire de la Radio un appareil jouissant d'indépendance matérielle et financière, servant la politique de l'Etat, sans partialité aucune. Il prévoyait la création d'un Conseil administratif qui agirait ”tel un parlement démocratique au sein de la Radio nationale, contrôlant l'action du directeur et lui donnant l'orientation qui sert le mieux l'intérêt public”. Débattu par un conseil de gouvernement présidé par Mohammed V, le projet sera adopté et ratifié le 20 novembre 1959. Mais gelé, il ne sera pas publié par le journal officiel. Quand il acquerra la certitude que le gel était le fait d'une certaine partie au sein des hautes autorités, Dr.Manjra donnera sa démission au début du mois de juin 1960. 2- Distribution des terres et début de la récupération de celles restées en la possession des colons Concernant le domaine agricole, la première disposition que prendra le gouvernement sera la redistribution des terres. Quelque 91.000 hectares seront ainsi redistribués aux petits agriculteurs, dans des opération supervisées par le Roi en personne. Parallèlement, 42.000 hectares de terres particulièrement fertiles seront reprises des mains des colons. Le gouvernements s'attellera par ailleurs à la réforme du Crédit agricole, créant une Caisse nationale et des caisses régionales à cet effet. 3- La bataille pour les dispositions de libération économique Mais la principale bataille opposant le gouvernement, l'UNFP et al-Tahrir, aux adversaires de la libération économique, se déroulera sur un champ tout autre : elle aura pour enjeu ce que nous nommions alors les dispositions de libération économique, dont la plus importante était sans conteste la séparation du franc marocain d'avec le franc français, et les dispositions qui s'ensuivaient. Durant cette âpre bataille, bien des visages se découvriront, et bien des intentions et propensions antinationales seront mises à nu. Le projet de loi relatif à la séparation ayant été soumis à Mohammed V -qui détenait le pouvoir législatif en l'absence d'une institution parlementaire- l'enjeu premier pour chacun sera de s'adjuger le soutien du souverain. Al-Tahrir mènera à ce sujet une campagne presque quotidienne, visant à expliquer les objectifs des dispositions en question et à démontrer leur nécessité pour l'accomplissement de l'indépendance économique. Pour leur part, les adversaires s'emploieront à instaurer un climat de crainte, où la séparation des monnaies est décrite comme un scénario catastrophique, ne pouvant conduire qu'à l'effondrement de l'économie nationale. Le Roi marquera, pour se décider, un temps qui suffira à mettre en évidence les véritables enjeux de la bataille. • Par Mohammed Abed al-Jabri