Mohammed Abed al-Jabri, l'un des philosophes fondateurs de la pensée arabe moderne, s'intéresse dans ses «Positions : témoignages et mises en lumière» à l'histoire contemporaine du Maroc. Il nous la présente avec cette acuité et cette pertinence qui ont fait sa renommée de penseur perspicace. Les traîtres, eux, sont de deux sortes: les patents et les cachés. Les premiers, connus de tous, ne représentent un danger véritable que pour eux-mêmes, contrairement aux seconds, plus pernicieux car revêtant plus d'un visage et prenant plus d'un nom. Ils appellent à la libération tout en la combattant, et au changement de la situation, tout en œuvrant en secret au maintien du statu quo. Quant aux classifications à gauche et à droite et autres concepts importés d'Occident, ils n'ont aucun cours dans un pays comme le nôtre, où, comme nous le disions, les agents sont jugés selon leur état de patriotes ou de traîtres. A moins, bien évidemment, que l'en entende par gauche la volonté de liquider toutes les tares héritées de l'ère coloniale, ce qui met automatiquement les gens de la droite dans le camp de ceux qui luttent de toutes leurs forces contre cette liquidation. Répétons-le : les pays où des concepts comme la droite et la gauche ont cours, sont ceux qui ne souffrent d'aucune séquelle du colonialisme. Dans un pays comme le nôtre, l'on ne peut être que patriote, révolté contre le colonialisme et ses séquelles, ou traître, composant avec les ennemis de son propre pays.”/Ibn al-Balad. Culmination de la Bataille rangée : révocation du gouvernement Ibrahim 1- Bataille contre la campagne anti-Ibrahim et "la corruption au sein de l'administration" Le Roi Mohammed V s'étant déclaré favorable aux mesures économiques qui étaient au centre de la bataille, il fallait s'attendre à ce que la campagne menée par les adversaires de la libération économique gagnât en ampleur. En effet, dès que le conseil gouvernemental, présidé par le Roi, eut ratifié, le 16 octobre 1959, les mesures économiques historiques en question (voir chapitre précédent), les adversaires de la libération décidèrent de s'attaquer directement aux forces populaires auprès desquelles le gouvernement puisait force et soutien. Pour ce faire, ils fomentèrent un complot visant à séparer le Roi d'avec ces forces, coupant ainsi l'herbe sous les pieds de l'UNFP. Al-Tahrir, avec la résistance, furent les premiers objectifs visés par ce nouveau complot. Le journal était en effet l'épouvantail qui les effrayait, le projecteur qui mettait à nu leurs actes et exactions. Quant aux liens qui liaient al-Tahrir à la résistance, ils étaient évidents : Mohamed Baçri, son directeur, et Abderrahmane Youssoufi, son rédacteur en chef, étaient tous deux à la tête de l'Organisation de la résistance et de l'Armée de Libération, une des principales constituantes de l'UNFP. La campagne se soldera par une répression généralisée, dont le journal, ses directeur et Rédacteur en chef, ainsi que l'ensemble des résistants, feront lourdement les frais. Cette répression s'étendra par la suite pour toucher l'UNFP en entier quand s'amorcera le complot du 16 juillet 1963. Mais ni l'arrestation de Baçri et Youssoufi, ni la suspension de al-Tahrir, ne viendront à bout de la détermination des forces populaires; al-Raï al-Am poursuivra la mission, comme nous l'indiquions dans le précédent volume de cette série. • Par Mohammed Abed al-Jabri