Me Abdelfettah Zahrach, l'avocat d'Abdellah Tabarak et de Mohamed Mazouz, deux des cinq Afghans-Marocains libérés de Guantanamo, pense que le procès contre ces derniers va légitimer les crimes commis par l'Administration américaine. Entretien. ALM : Vous êtes l'avocat de deux Marocains, anciens détenus de Guantanamo. Pour quels motifs sont-ils poursuivis? Me Abdelfettah Zahrach : Tout d'abord, je tiens à préciser qu'en tant que militant des droits de l'Homme et en tant que citoyen, j'aurais souhaité ne pas avoir à plaider dans cette affaire. Pour la simple raison que les cinq Marocains, et pas seulement mes clients, devaient être carrément libérés, dès leur arrivée du bagne de Guantanamo. Mais malheureusement, ils ont été déférés à la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) qui a diligenté une enquête avec eux sur des faits et des crimes qu'ils sont supposés avoir commis, tenez-vous bien, au moment où ils croupissaient dans les cellules de Guantanamo. Que s'est-il passé après leur passage chez les officiers de la BNPJ? Ils ont été transférés devant le procureur général de la Cour d'appel de Rabat, lequel a demandé au juge d'instruction d'enquêter sur des faits et des crimes figurant dans le code pénal et non dans la loi antiterroriste. Toujours est-il, que les cinq Marocains sont poursuivis pour constitution d'une bande criminelle et non-dénonciation d'un crime contre la sûreté de l'Etat. Je tiens à vous assurer que les autorités sécuritaires et judiciaires du pays sont tout à fait conscientes que ce procès n'a aucun sens. Permettez-moi l'expression: c'est une affaire bidon. Mais l'hégémonie américaine a fait que les décideurs Marocains font preuve de suivisme aveugle. Pire, par ce procès, le pouvoir judiciaire marocain marque du sceau de la légitimité, toutes les exactions commises par les Etats-Unis à Guantanamo. Washington est coupable de crimes contre l'humanité et violation de toutes les conventions internationale et les valeurs pour lesquelles le peuple américain s'est battu. Revenons aux cinq Marocains. Sur quelle base juridique ont-il été remis aux autorités marocaines? Dans les médias nationaux officiels, on a parlé de "coopération internationale pour la lutte contre le terroriste". Or, nous n'avons retrouvé dans les dossiers des cinq prévenus aucun document attestant d'une quelconque coopération internationale. Les Etats-Unis se sont débarrassés de ces cinq individus, comme on jette de vieilles chaussettes. Mais l'attitude marocaine est encore plus décevante. Pourquoi décevante? Par ce que les cinq Marocains, venus des geôles de Guantanamo, devaient bénéficier d'un accueil chaleureux, semblable à celui réservé aux MRE dans les ports et centres d'accueil. Mercredi 15 septembre, les cinq prévenus se sont confrontés, à Rabat, devant le juge d'instruction chargé de l'affaire. Comment cela s'est passé? Il s'est avéré qu'ils ne se connaissent même pas. Certains se sont vus dans un camp de détention en Afghanistan. Mais la première fois qu'ils se sont véritablement rencontrés, c'est dans le commissariat de Maârif à Casablanca, à leur retour de Guantanamo. Maintenant que l'instruction est terminée, que va-t-il se passer? En effet, le juge d'instruction a clôturé son enquête. Il lui reste à décider si le dossier doit être transféré pour jugement à la Chambre criminelle de la Cour d'appel de Rabat et si les cinq personnes peuvent bénéficier d'une liberté provisoire. Nous avons formulé cette demande, le mercredi dernier. Maintenant, la balle est dans le camp du juge d'instruction. Est-ce que vous êtes confiants? Je peux vous assurer que toutes les parties qui ont assisté à l'instruction, les avocats de la défense et les accusés, sont optimistes et pensent que leurs requêtes seront satisfaites. En clair, je pense que le juge d'instruction va accorder la liberté provisoire car toutes les garanties sont offertes. Sincèrement, vous pensez que ces cinq Marocains n'ont rien à voir avec Al Qaïda? Je vous dirais tout simplement que s'ils avaient un lien avec Al Qaïda, les Etats-Unis ne les auraient pas remis aux autorités marocaines. A votre connaissance, y a-t-il toujours d'autres Marocains à Guantanamo? Selon les informations que nous avons pu glaner auprès des cinq prévenus, il semblerait que 13 autres Marocains sont toujours détenus à Guantanamo. Certains d'entre eux ont carrément perdu la raison. Je me demande ce que fait la diplomatie marocaine et le gouvernement de notre pays pour les rapatrier.