La recrudescence des accidents causés en partie par la politique floue des agréments rend la situation des compagnies d'assurances difficile. Le recouvrement, lui, est aléatoire. Abdessalam Kebbour n'a pas été entamé par l'évolution de l'enquête sur le drame de Poitier. Cet ancien Chaufeur, aujourd'hui directeur général de «Voyages Kabbour », déclare avec assurance que son car qui s'est renversé à Poitiers, en juin dernier, roulait bel et bien avec un agrément en bonne et due forme lui permettant de faire ce type de transport. «Notre société dispose d'environ d'une vingtaine d'agréments et nos véhicules sont tous assurés». Pourtant, ce n'est pas l'avis du ministère belge des Transports, lequel a déclaré récemment que le propriétaire du car en question, «n'avait pas la licence nécessaire pour prendre des passagers en Belgique ». Depuis ce drame, la justice française et belge s'intéressent de plus près au système de fonctionnement de cette entreprise ainsi que les conditions légales et techniques du transport. Côté marocain, depuis l'accident de Poitiers, le contrôle s'est renforcé. Déjà plus de 50 bus qui «sévissaient» sur l'axe Maroc Europe ont été envoyés à la fourrière. Le ministère du Transport serait en train de former des contrôleurs. Une chose qui inquiète sûrement les transporteurs clandestins mais pas les sociétés d'assurance. La plupart des agréments ne couvrent que le trajet du Maroc vers l'Europe, les cars transportant des passagers dans le sens inverse, à l'exception de ceux de la CTM, de Supratour et de la SAT, doivent déjouer tous les contrôles et user des tactiques diverses pour échapper aux amendes qui peuvent atteindre 20 000 dirhams. En quittant la Belgique, certains cars doivent contourner le trajet normal, aller jusqu'aux Pyrénées, en déviant 1.200 km pour échapper au contrôle. Le bus renversé à Poitiers serait assuré par la CAT (Compagnie d'assurance transport), basée à Casablanca et restée injoignable malgré les nombreuses tentatives d'ALM. Cette compagnie se partage avec la MATU (Mutuelle d'assurance des transporteurs unis) la quasi-totalité du marché. Une activité à risque mais essentielle : «Aujourd'hui, déclare un cadre chargé d'études à la Fédération marocaine d'assurance, le marché est assaini ». Autrement dit il n'y a pas plus de risques de non-recouvrements des sinistres. Toutes les compagnies insolvables se sont vu retirés leur agrément. Le ministère des Finances a repris les dossiers des impayés et déboursé 50% de l'ardoise des dommages dus aux sinistres. De plus, selon la direction des Assurances, l'ensemble des compagnies est soumis à des règles de contrôle strictes. Pourtant, la recrudescence des accidents de la circulation rend le recouvrement des sinistres difficiles. Affaires d'experts, d'évaluation et de contre-évaluation, les procédures peuvent prendre de nombreuses années. Surtout s'il y a litige comme c'est le cas entre la MATU et la société AST (Agadir Service Of Tourisme). «La MATU m'a tué », s'exclame le responsable de cette entreprise. L'affaire remonte à un accident d'un bus de la société AST survenu en février 1991. Depuis, le dossier ouvert ne s'est jamais refermé. Le tribunal de première instance de Settat a jugé l'affaire en 1994. Suivant ce jugement, la MATU est débitrice de 563 millions de centimes envers la société AST. Trois ans plus tard, le même jugement est confirmé par la Cour d'appel de Settat, toujours en faveur d'AST. Etant l'assureur du car contrevenant mis en cause, la MATU se trouve donc au centre d'un dossier d'exécution soumis au tribunal de première instance de Casa-Anfa. D'après les déclarations du directeur d'AST, non seulement ces exécutions n'ont rencontré aucun succès, mais aussi la MATU s'oppose au verdict rendu par les tribunaux. Plus grave, le directeur d'AST, qui n'a pas arrêté depuis dix ans de faire le tour des tribunaux, était parvenu à opérer une saisie sur un compte de la MATU à la BMCE, n'y découvrant que la somme de 43.000 dirhams. Dérisoire car dommages et intérêts cumulés, AST réclame aujourd'hui plus de 20 millions de dirhams à la MATU. Contacté sur les raisons de ce «refus» apparent de se soumettre aux jugements des tribunaux, le directeur général de la Mutuelle est catégorique : «Nous avons porté une plainte pour faux et usage de faux à l'encontre du responsable de cette société ». Ce qui, ajoute-t-il, suspend automatiquement le jugement rendu en sa défaveur par le tribunal de Settat. De plus, note le directeur général de la Mutuelle, le tribunal qui a statué sur l'affaire n'a pris en compte que les propos d'un témoin, mais pas le PV de la Gendarmerie dont ALM dispose d'une copie et qui penche plutôt pour un accident fortuit et non provoqué par un car assuré par la MATU. Par ailleurs, s'étonne M. Benyamna, DG de la MATU, «je ne peux comprendre comment pour un car renversé, le tribunal exige 6 millions de dirhams, sachant que le prix d'un car ne dépasse pas 2 millions de dirhams !» Notez bien, poursuit-il, que le car en question était vétuste. «En 20 ans d'existence, c'est le seul sinistre où il y a eu litige », dit-on à la MATU qui met en avant une situation comptable équilibrée. La mutuelle assure avoir réglé pour 2003 pas moins de 100 millions de dirhams. «Nous sommes dans un secteur sensible. Par conséquent, nous sommes tenus de disposer des réserves où l'on ne peut avoir accès que sous contrôle strict. «Nous sommes tenus comme tout le monde à faire face aux sinistres. Nous ne pouvons pas nous y soustraire». Des propos qui irritent le responsable d'AST. «Nous sommes partis jusqu'à la Cour suprême qui a confirmé le même jugement». La MATU, dit-il, refuse manifestement de se soumettre à la loi. Cela pose de manière claire un problème à toute la crédibilité du système d'assurance du transport au Maroc. » Le directeur de AST menace désormais de mettre la clé sous le paillasson, ce qui n'émeut outre mesure les responsables de la MATU persuadés d'être dans leur bon droit.