Le Maroc, pays privilégié géopolitiquement, s'inscrit donc de facto dans cette nouvelle donne. Il s'agit d'assurer l'emploi des jeunes générations arrivant sur le marché de l'emploi. Il faut ici réaliser le fait qu'une partie de la génération future découvrira, du fait de l'innovation, de nouveaux métiers que la génération précédente ne connaissait pas. Il s'agit donc d'actionner les leviers à la base de la richesse d'une nation. En ce sens, le théoricien de l'innovation dans l'économie Joseph A. Schumpeter a établi depuis le début du siècle que la richesse d'une nation se fait essentiellement grâce: - au lancement de nouveaux produits ou de nouvelles variétés de produits. - de nouveaux modes de production ou de ventes de produits. - de création de nouveaux marchés. - de nouvelles ressources d'approvisionnements matériaux ou produits semi-finis. - de nouvelles structures créatives ou destructives des positions de monopole. Toutefois, si l'innovation technologique s'impose à l'esprit dans le discours courant, c'est une erreur de réduire l'innovation au simple champ technologique. L'innovation possède des visages multiples. Au sein d'une organisation privée ou publique, elle peut s'inscrire dans les produits et les services bien entendu, mais l'innovation peut se situer dans le business model d'une organisation, dans l'usage du marketing, dans les processus, les structures et les modes de management. Et l'histoire du management nous apprend que l'innovation ne fonctionne pas avec les injonctions et encore moins avec un «Euréka» n'en déplaise à Archimède ! A ce stade, beaucoup de managers et de chefs d'entreprises se posent la question comment innover et quid du coût et de l'investissement dans l'innovation et avec quels retours ? Si ces questions sont légitimes, elles paraissent secondaires dès lors qu'une culture de l'innovation est implémentée, voire tout simplement identifiée dans l'organisation. Le design - au sens anglophone ou arabophone du terme : (conception) ou «Tasmim» - dans le contexte du management de l'innovation, intègre au sein de la discipline qu'on nomme aujourd'hui le «Design management» un paradigme connu aujourd'hui pour être le «Design thinking». Ce paradigme offre la possibilité aux organisations d'injecter à moindre coût les prémices d'une culture de l'innovation aux aspects multiples. Le paradigme du design thinking Même si on retrouve les fondements du design thinking au début du siècle chez Frederick Winslow Taylor (El hilali & Mathieu 2015 article académique à paraître), il faut accorder à Tim Brown à travers son ouvrage Change By Design et à l'expérience de la D. School de Stanford l'avantage d'avoir popularisé le paradigme du design thinking aux U.S.A. d'abord et en ce moment de façon grandissante en Europe. Selon Tim Brown (2008), le design thinking serait une approche de l'innovation centrée sur l'être humain incluant une comprehension empathique de l'être, comme une source d'inspiration en ayant recours au prototypage itératif des projets. C'est un paradigme subtil et intéressant qui prend à revers les paradigmes classiques de l'étude de marché et du besoin du consommateur issus du «Marketing Management». En design thinking, on prend le temps de développer une empathie extrême avec l'usager jusqu'à voir le monde et l'usage qu'il fait d'un produit ou d'un service, tel que l'usager le perçoit et non pas comme le marché, l'ingénieur ou le chef d'entreprise le perçoit pour lui. Une fois cette perception réalisée, le prototype du produit ou du service emprunte un chemin itératif incessant entre le produit et son usager et ce par-delà sa mise sur le marché. C'est une nuance subtile qui permet à de grandes entreprises aujourd'hui de développer des produits qui sont restés masqués à une concurrence, trop focalisée sur son propre point de vue sur le client, le produit et/ou le marché. Toutefois victime de son succès, le design thinking en donnant l'illusion d'une facilité d'usage et subissant ce que Abrahamson & Fairchild (1999) nomment le Fashion Management, le design thinking s'est vu malheureusement utilisé par des consultants peu scrupuleux ou des managers trop pressés comme un process d'ingénieur dans la lignée d'une «six sigma» ou encore comme un ersatz de brainstorming. Ce qui a eu pour conséquence de dénaturer la méthode et de la vider de sa substance. Cet état de fait constaté aux USA et en emergence en Europe a amené l'une des personnes qui a le plus contribué à la diffusion du design thinking aux USA, à savoir Bruce Naussbaum, professeur et chroniqueur à Businessweek, à proclamer la mort du design thinking ! en lui substituant le concept de Creative Intelligence afin de recentrer de façon ferme l'idée originale du paradigme. Ceci dit dans la réalité marocaine inscrite dans une économie en émergence, sans pétrole (du moins pas encore) mais avec beaucoup d'idées, le design thinking a besoin d'être popularisé en une logique éducative, notamment parcequ'il offre la possibilité de jeter les germes d'une politique de l'innovation en ouvrant davantage le degré du champ du possible, aussi bien pour les entreprises établies que pour les entreprises en gestation en une logique entrepreneuriale. Par Nabil El Hilali (*) (*) Nabil El Hilali, professeur-chercheur à ESCA Ecole de Management, détient en une perspective transdisciplinaire un doctorat en sciences de gestion de l'Université de Nantes / Audencia Business School (France) et un doctorat en sciences humaines et sociales de l'Université de Nice Sophia Antipolis (France). Il a été professeur visitant dans des écoles renommée en Europe et a conseillé de grandes structures dans les domaines liés aux stratégies de communication, de design management et de l'innovation. Il publie et communique ses travaux à l'échelle internationale. Ses centres d'intérêt traitent du design thinking, du management de l'innovation à l'intersection de l'art, des sciences de l'ingénieur et du marketing.