Tremblement de terre, ou à tout le moins coup de tonnerre dans le ciel - qu'on croyait serein- des relations bilatérales: la décision de la Commission parlementaire européenne de l'agriculture de modifier les conditions d'entrée des fruits et légumes marocains sur le territoire des 27 est dans toutes les bouches, fait l'objet des commentaires les plus variés. Suscite les réactions les plus émues. Celle, notamment, du ministre de l'agriculture et de la pêche maritime qui a déclaré dans un communiqué publié par ses services vendredi à Rabat: «nous n'osons pas en imaginer les conséquences sur une filière marocaine et des opérateurs qui, dans le cadre d'un important partenariat avec l'Union européenne (UE), ont investi et cru en des débouchés durables». Car, a-t-il ajouté: «cette mesure décidée de manière unilatérale - alors qu'elle concerne deux parties liées par un accord - menace le secteur des fruits et légumes marocain. Plus particulièrement, elle fait peser les plus lourdes hypothèques sur des exportations de tomates par ailleurs bridées par un système de commercialisation à l'export très contraignant». Si bien que l'un dans l'autre, les effets de la décision de la Commission s'ajoutant à ceux du système, ce sont les 400 à 500.000 tonnes de tomates exportées en direction de l'Europe qui ont la tête sur le billot. Inexplicable de la part d'un partenaire privilégié, a jugé le ministre. «C'est une démarche aussi étonnante qu'incompréhensible de la part d'un partenaire historique tel que l'Union européenne». Mais plus dévastateur que ces conséquences commerciales prévisibles est le coup porté au capital de confiance qui singularisait les deux partenaires. Akhannouch s'en inquiète au plus haut point en avouant: «C'est une relation de confiance et de partenariat durable qui est mise à mal». Au moment, en effet, où les deux parties s'essayent à frayer la voie à d'autres pays comme la Tunisie, l'Egypte et la Jordanie, en discutant à Bruxelles d'un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), la décision des députés européens dépasse de loin le cadre étroit des relations commerciales bilatérales. Ce constat, les professionnels des fruits et légumes l'ont fait également. Commentant à chaud la décision de la Commission européenne, le vice-président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de production et d'exportation des fruits et légumes (FIFEL) a dit les dangers que fait peser la modification des prix sur l'avenir de l'activité. Omar Mounir a fait remarquer que le demi-million de tonnes que le Maroc exporte sur l'Europe, durant les années fastes, ne représente que 4% des besoins du marché des 27 pays. Que, du fait de la précocité des tomates marocaines, ces livraisons ont lieu à une période où le produit local est rare: ce qui exclut le risque de concurrence. Et par produit local, il entend la tomate espagnole ou française, tant il lui semble que ce sont ces deux pays qui sont derrière la décision de modification. Une situation qui rappelle étrangement celle qui a prévalu en septembre de l'année 2012 quand le Maroc a été autorisé par les députés européens- en dépit de l'opposition du mouvement de José Bové- à exporter 55% de denrées sans droits de douane vers l'Europe, contre 33% précédemment. Sauf que cette fois-ci la confiance maroco-européenne a été touchée en plein élan vers l'Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), censé promouvoir une intégration plus prononcée de l'économie marocaine à celle de l'ensemble européen. Peu de choses ont transparu sur la teneur du 4ème round des négociations qui ont pris fin ce même vendredi. Cependant de premières informations font état de ce que le Maroc y a dit avec franchise et clarté son point de vue sur le présent et le futur de son partenariat stratégique avec l'U.E.
Fouad Benabdeljalil de l'Association marocaine des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (APEFEL) et membre de la Commission de suivi de la réforme du système des prix d'entrée «La décision de modification du système des prix d'accès des fruits et légumes marocains sur le marché de l'Union européenne (UE) consiste à introduire des restrictions des méthodes de dédouanement de nos produits agricoles soumis à l'entrée. Tous ces produits ne peuvent pas à l'avenir être dédouanés à la frontière sur la base de leur prix réel de vente, mais seulement sur la base d'une valeur forfaitaire à l'importation (VFI) calculée par les services de l'UE. Ainsi, pour protéger son marché intérieur, l'UE exige à ce que certains produits soient vendus sur le marché européen à un prix élevé. Aussi, dans l'avenir, la douane européenne ne prendra plus en considération le véritable prix de vente, mais seulement une valeur que l'UE va lui dicter. Cet acte est contraire à l'accord d'Association entre le Maroc et l'UE, aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et même à celles régissant la douane communautaire. Cette mesure va entraîner une baisse drastique des exportations marocaines et impactera l'ensemble des composantes de la filière, que ce soit au niveau des exploitations agricoles qui vont être obligées de régresser ou des stations de conditionnement qui ne vont pas rendre le travail pendant toute la période d'exportation. Actuellement, nous exportons beaucoup sur le marché russe, scandinave et africain, mais le marché principal du Maroc reste l'UE, vu la proximité et la nature périssable de nos produits». Belmaâlem Touhami, acteur associatif «Nous voulons transmettre un message à l'Union européenne que le Maroc est le grand perdant de l'accord agricole liant les deux parties, puisque les employés au Maroc reçoivent un revenu journalier de 5 euros, alors qu'en Europe la rémunération s'élève à 15 euros. Aussi, les fruits et légumes exportés vers l'Union européenne consomment beaucoup d'eaux souterraines, ce qui ne plaît pas aux écologistes. À cet égard, l'Union européenne est appelée à revoir sa décision qui a été prise unilatéralement et en contradiction avec les engagements de l'Union au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). À noter que le Maroc n'a rien à craindre puisqu'il peut exporter ses produits agricoles aux marchés africains, d'Amérique Latine et des pays du Golfe. Abdelfattah Zahrach, président de l'espace associatif «Al-Amal» à Rabat Cet acte délégué, qui porte sur des produits agricoles principaux, dont la tomate et les agrumes, aura des effets négatifs sur les producteurs agricoles, l'économie marocaine et les relations de partenariat liant le Maroc et l'Union européenne. Cette dernière doit revoir son acte et ouvrir le débat sur cette question avec le gouvernement marocain et les acteurs du secteur agricole, afin de maintenir les relations solides et historiques la liant au Royaume. Zamrag Mbark, président de l'Association des producteurs d'agrumes (ASPAM) de Béni-Mellal «Il faut que l'Union européenne sache que le secteur agricole joue un rôle clé dans la croissance économique marocaine et emploie un nombre important de jeunes. Aussi, le Maroc engage des investissements lourds dans le domaine agricole, afin de subvenir aux besoins des marchés européens en produits agricoles».