ALM : La princesse héritière Mary du Danemark vous a rendu visite dans vos locaux de l'UAF. Quel était l'objet de cette rencontre? Fatema Maghnaoui : Cette visite s'inscrivait dans le cadre de notre partenariat avec l'association danoise KV Info qui milite pour la parité et l'égalité des sexes. L'objectif principal de cette rencontre était de partager avec la princesse l'expérience de l'UAF en matière de violence à l'égard des femmes, de connaître nos contraintes, nos réalisations, nos défis, nos actions sur le terrain et nos perspectives. Nous avons aussi discuté de la répartition des responsabilités entre société civile et gouvernement. Nous avons également présenté à la princesse, le centre Annajda, notre réseau de centres d'assistance et de soutien aux femmes victimes de violence, qui regroupe 12 centres au niveau national. Nous lui avons aussi fait part des services que nous proposons à ces femmes, nos programmes de campagnes et de caravanes de sensibilisation, ainsi que le plaidoyer de l'UAF pour le changement des lois discriminatoires et notre implication dans le réseautage du mouvement féministe.
L‘avez-vous emmenée sur le terrain pour qu'elle se rende compte par elle-même de la réalité des choses ? Oui tout à fait ! Nous lui avons présenté cinq femmes, que nous aidons au quotidien, toutes victimes de plusieurs formes de violence (physique, psychologique, agression sexuelle, problèmes de pension alimentaire, mariage de mineure).
Quelle a été la réaction de la princesse en rencontrant ces femmes ? Je ne vous cache pas qu'elle a été bouleversée, au point d'en pleurer. Elle les a très longuement écoutées et m'a confié ensuite « C'est horrible ! ». Il est évident que cette cause lui tient vraiment à cœur et d'ailleurs, les femmes qui l'ont rencontrée ont aussi été émues qu'elle, notamment d'être ainsi écoutées et respectées par une princesse.
Comment lui avez-vous expliqué un tel désarroi? Nous lui avons expliqué que malgré les changements, les acquis, le nouveau code de la famille… la violence est toujours bien présente et que la discrimination est ancrée dans notre culture. Aujourd'hui, deux problèmes subsistent : d'une part, l'application des lois qui peine à se faire en raison des mentalités patriarcales réfractaires au changement, d'autre part, les failles qui demeurent dans ces nouvelles lois. Nous luttons toujours pour une refonte globale du code pénal, de sa philosophie et de sa structure. Les lois sont des outils essentiels pour le changement des mentalités, mais cela ne suffit pas. Il faudrait une révolution culturelle pour changer radicalement les mentalités. Ceci ne pourra se produire qu'avec l'implication totale de l'école, et par la réforme des manuels scolaires… Sans compter l'éducation et la diffusion de la culture de l'égalité et des droits humains aux responsables de l'application des lois et des médias. Tout cela ne pourra pas se faire sans une implication totale de l'état, qui est le seul à même de changer la donne. C'est aussi à l'Etat notamment de mettre en place les structures de protection, à savoir les centres d'hébergement pour les femmes et les enfants expulsés du domicile conjugal. Nous, en tant que société civile, faisons ce que nous pouvons avec les moyens du bord, mais ç'est loin de suffire. Sans oublier la responsabilité des élus et des communes qui devraient s'atteler à la question de la violence à l'égard des femmes. Comment expliquez-vous que Mary du Danemark se soit adressée à vous et non à Bassima Hakkaoui, notre ministre de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social, pour parler de violence à l'encontre des femmes ? Effectivement, la ministre aurait peut-être pu être associée à cette visite, mais cela n'était visiblement pas inscrit dans l'agenda de la princesse qui préférait aller sur le terrain avec les associations. De toute manière, s'agissant de la question de la violence à l'égard des femmes, le mouvement féministe et la ministre de la femme ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde. Pour preuve, nous attendons toujours qu'une loi qui assure la prévention, la protection et la sanction des agresseurs, voie le jour. Les femmes et les enfants dans une situation de détresse physique et morale peuvent-ils se permettre d'attendre ? Que dire aussi de l'absence de réaction de ce même ministère en charge de la protection de l'enfance dans l'affaire Daniel Galvan… Pourquoi un tel silence? La violence à l'encontre des enfants, c'est pourtant quelque chose de très grave !
Connaissant l'inimitié flagrante entre la société civile féministe et Bassima Hakkaoui, c'est tout de même une sacrée revanche pour vous que de recevoir une princesse… ça c'est sûr ! Et disons même que c'est une première historique. C'est la première fois au Maroc qu'un membre d'une famille royale étrangère s'adresse directement à une association pour débattre de la violence à l'égard des femmes et qu'elle accorde autant d'égard aux victimes.