Une rencontre avec l'écrivain Mahi Binbine autour de son dernier roman «Les étoiles de Sidi Moumen» publié chez les éditions Le Fennec a été organisée , mercredi à 19h00, à la Villa des Arts de Casablanca. Après la thématique des années de plomb qui a fait couler beaucoup d'encre, ce sont Sidi Moumen, terrorisme, fanatisme, … des thèmes récurrents qui attisent l'appétit littéraire des écrivains marocains après les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca. Trois romans marocains sur Sidi Moumen sont déjà là, dont certains déjà publiés et autres en cours. Le premier est celui de la romancière marocaine d'expression anglaise installée aux Etats Unis, Leila Alami, un autre en cours de Youssef Amine Alami et un troisième publié en 2010 «Les Etoiles de Sidi Moumen» de Mahi Binebine. La présentation du livre a été un moment de grande émotion puisque les quelques lecteurs assidus comptés sur le bout des doigts dans ce temps-ci, se sont réunis dans cette messe littéraire. Mais le plus saisissant dans cette rencontre, c'était la présence des familles de victimes des attentats du 16 mai à Casablanca qui ont tenu à exprimer leur gratitude à l'écrivain de l'intérêt apporté à ce phénomène. Le fil conducteur de ce roman gravite autour des gamins de Sidi Moumen, pertinemment la décharge de Sidi Moumen, un univers à la lisière de Casablanca où la violence est banalisée, monnaie courante et acte quotidien dès la naissance, où le rêve est avorté à force de sentir la décrépitude. Une sorte de crématorium où l'on incinère non les morts mais plutôt les vivants, ceux qui n'ont pas eu le privilège de grandir dans des conditions aisées sinon potables. Mais tout n'est pas complètement sombre, l'auteur ne veut surtout pas sombrer dans le misérabilisme. Les mômes de ce quartier déshérité se battent bien que mal contre l'extinction. Ils se prêtent au jeu du football et créent une équipe de football « Les Etoiles de Sidi Moumen» qui est leur seule échappatoire à la grisaille de leur destin. Toutefois, ces créatures abandonnées et livrées à leur propre sort, que personne n'entend, se glissent à coup d'œil, vers le fanatisme et deviennent illico presto des projets Kamikaz. Mahi Binebine, qui a enquêté, s'est documenté sur les évènements de Casablanca et est allé à Sidi Moumen avant d'écrire son roman, suit l'acheminement de ces enfants au départ innocents, naïfs et loin d'être nuisibles vers l'endoctrinement pour devenir enfin des bombes humaines en détruisant d'abord son soi et en entraînant les autres dans la mort. Voilà un écrivain qui a su aborder la question sans toutefois se livrer à une incrimination à tue-tête superficielle et sans répit des kamikaz sans aucune prise ni de décalage, ni d'écart pour mieux appréhender le sujet. Il a réussi à les rendre innocents en dépit de leur crime. « Je ne veux pas faire l'apologie du terrorisme. On ne peut pas justifier la mort mais je voulais comprendre si les gamins sont les responsables…Il y a de l'humain chez ce gamin qui a été influencé par le fanatisme. C'est une victime comme une autre», explique-t-il. Est-ce un témoignage ? L'auteur parle d'une fiction inspirée d'une tragédie. En tout cas, c'est un roman qui se tient à la limite entre le réel et la fiction, combinant à merveille l'existant et l'imaginaire. Le seul bémol de ce roman, d'ailleurs l'écrivain reconnaît qu'il a déjà eu des reproches à ce sujet, c'est de dire que la misère égale le terrorisme. Certes, un gamin qui grandit à la lisière, et c'est connu en psychologie, devient une proie facile au premier marchand d'illusion. Néanmoins, le fanatisme ne puise pas ses racines uniquement dans le sentiment d'injustice mais il recrute partout où c'est possible. Oussama Ben Laden et Ayman Dawahiri, numéros 1 et 2 d'Al Qaïda, sont des notables. Karim Mejjati, l'un des accusés des attentats du 16 mai à Casablanca, a vécu au Gauthier, l'un des quartiers chic de Casablanca avant de s'envoler aux USA. Avec ce roman, Mahi Binebine vient d'ajouter un autre jalon à son parcours littéraire et réaffirme une maturité du style, bien travaillée et sculptée comme il sculpte ses corps.